mercredi 26 mai 2010

Souffles couplés

Souffles couplés - Gérald Tenenbaum
Éditions Héloïse d'Ormesson (2010)

Un drame s'est produit dans un hameau de montagne, dans le Val d'Aoste, auquel Alex, 11 ans, a été mêlé. Les gendarmes l'ont ramené du côté français, où il a été placé en foyer. Du drame et de son existence antérieure, Alex a tout oublié, même la lecture et l'écriture. En revanche, il est depuis doté d'une mémoire exceptionnelle. Il est même capable de reproduire un texte aperçu quelques secondes en dessinant les lettres, sans comprendre le sens de ce qu'il a vu.
Vingt-sept années ont passé. Alex est barman à Grenoble, au café des Deux Mondes et il ne sait toujours pas qui il est, essayant de retrouver le fil du passé dans des bribes de souvenirs et d'impressions qui hantent son esprit.
Maguy, capitaine de police et cliente du café fait quelquefois appel au formidable don d'Alex pour résoudre ses enquêtes de police.
Sandra, psycholinguiste à l'université, a trouvé en Alex un sujet d'étude et tente de l'accompagner vers sa vérité.
Un jeune homme est assassiné dans le parc Mistral, à proximité du café. Alex reconnait son écharpe et se rappelle que la victime avait fréquenté le café et s'entrainait dans un petit club de boxe, dirigé par un italien. près d'Échirolles. Sandra, à qui il raconte cet épisode, identifie le propriétaire du club de boxe : Il s'agit d'un ami, Fulvio, un ancien membre des Brigades Rouges, qui a fui l'Italie et vit clandestinement en France depuis de longues années. Il faut éviter que la police s'intéresse à Fulvio et l'éloigner vers un endroit sûr. Grâce à ses amis, Alex trouve un refuge en montagne et y accompagne Sandra et Fulvio. En chemin, ses souvenirs le remettent sur la route de son enfance et vont permettre à la vérité de resurgir.


Voilà rapidement résumée une histoire bien plus complexe, pleine d'émotion et d'impressions fugitives, où les existences se croisent, chacune avec ses failles et ses silences. Le personnage d'Alex est poignant, homme privé d'enfance et empêché de vivre pleinement sa vie d'adulte, sans cesse replongé dans le passé par des réminiscences qui l'assaillent comme des flashs. Sandra, confrontée à l'incertitude dans sa vie de couple, trouve dans son voyage avec Fulvio et Alex une parenthèse bienvenue et l'occasion d'exercer son empathie.

A la lecture de ce roman, je me demande ce qui a pu inspirer son auteur, tant l'univers recréé semble maitrisé bien que peu exposé. plutôt suggéré qu'expliqué en détail. Gérald Tenenbaum installe une ambiance mystérieuse et impalpable, et livre petit à petit des indices qui laissent percevoir le drame passé, qui s'explique dans les dernières pages. Mais il en dit très peu, finalement, et cette économie donne tout son charme à cette histoire toute en retenue.
Un beau moment de lecture...

Merci aux éditions Héloïse d'Ormesson pour l'envoi gracieux de ce livre qui m'a permis de continuer ma découverte de Gérald Tenenbaum, après L'ordre des jours lu l'année dernière.

Les avis d'Aifelle et de Lily
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mercredi 5 mai 2010

Aux aguets

Aux aguets - John Galsworthy
Forsyte Saga (Tome 2)
Traduit de l'anglais par R. Pruvost
Le Livre de Poche - 1965

Douze années ont passé, depuis que Irène Forsyte a quitté son mari Soames, après la mort tragique de Philip Bosinney. La maison de Robin Hill a été achetée par le vieux Jolyon Forsyte et il y a fini ses jours, après avoir eu le bonheur de renouer avec son fils Jo. C'est lui qui y habite désormais avec ses deux enfants Jolly et Holly, maintenant que sa femme Helen est morte. 
Jo est le seul Forsyte à avoir quelques rares contacts avec Irène, car il gère le leg que son père avait attribué à la jeune femme par testament. Aussi, lorsque Soames se met en tête de divorcer afin de se remarier avec Annette, une jeune française dont la mère tient un restaurant à Soho, c'est Jo qu'il charge de contacter Irène afin de savoir si elle a refait sa vie. En effet, la loi anglaise ne permet le divorce qu'en cas de faute de l'un des époux. Mais Irène vit solitaire et ne peut fournir aucun motif susceptible d'être retenu par un juge. Soames, qui souhaite plus que tout un fils, rend visite à Irène pour tenter de la convaincre. À son contact, sa passion se réveille. Toujours "propriétaire" dans l'âme, Soames ne peut renoncer à elle et insiste pour reprendre un semblant de vie commune, afin d'avoir le fils qu'il souhaite tant. Irène prend peur et se réfugie en France. Mais Soames, qui la fait suivre par une agence de détectives, retrouve sa trace.

L'intrigue peut sembler bien mince. Mais pour ma part, j'ai encore une fois apprécié le talent de John Galsworthy.
Cette histoire de divorces et d'amours contrariés s'inscrit parfaitement entre la fin du 19ème siècle et l'entrée dans le 20ème et exprime la difficulté de certains Forsyte à changer de siècle.
Même Soames a bien du mal à assumer ses contradictions. Alors qu'il envisage son propre divorce avec réticence, craignant le scandale et l'étalage de sa vie privée, il est le premier à inciter sa soeur Winifred à intenter une action contre son mari Monty Darty, qui a abandonné le domicile conjugal pour suivre une danseuse en Amérique du Sud en emportant les perles de sa femme !
La jeune génération s'affirme dans ce deuxième tome de la Saga. La guerre des Boers va donner l'occasion à plusieurs d'entre eux de se libérer des contraintes de la bonne société britannique, même si elle apporte également des souffrances pour certains.

Plus encore que dans "Le propriétaire", premier tome de cette Saga, le personnage de Soames Forsyte inspire des sentiments contraires. Son instinct de possession, sa rigidité, le harcèlement qu'il exerce sur Irène le rendent très antipathique. Mais la passion qu'il ressent toujours pour sa femme, son goût de la peinture, son désir d'avoir un fils, sa sollicitude pour ses parents âgés, son incompréhension des changements de la société, tout cela lui apporte une réelle humanité.
Jo, quant à lui, a quitté son statut de paria et l'âge semble le mener sur la voie de la sagesse. Mais son coeur peut encore s'enflammer, surtout s'il se trouve fragilisé par un évènement tragique..
Et bien sûr, je ne peux oublier Irène, figure lumineuse et énigmatique, qui suscite toujours autant de passion et d'admiration !

Cette relecture, dans le cadre de mon challenge 2010, a été un vrai plaisir et m'a permis de mettre fin une période de panne de lecture. J'ai bien envie de me plonger rapidement dans le tome 3, "A louer".
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