dimanche 30 mars 2014

Un don

Un donToni Morrison
Christian Bourgois éditeur (2009)
Traduit de l’anglais par Anne Wicke


Je n’avais encore jamais lu Toni Morrison et c’est avec ce livre, dans le cadre du challenge Objectif PAL, que j’aborde son œuvre. J’avais lu de nombreux commentaires élogieux à propos de ce roman, mais je n’avais pas du tout retenu l’histoire. Aussi, c’est avec une certaine curiosité que j’ai commencé cette lecture, sans savoir réellement à quoi m’attendre, et j’ai été assez surprise par ce que j’y ai trouvé.

Première surprise : l’époque à laquelle se déroule l’intrigue, la fin du 17ème siècle, dans ce qui n’est pas encore les Etats-Unis. Jakob Vaark, venu d’Europe, a établi sa ferme en Virginie, et vit quasi en autarcie dans une nature encore sauvage et parfois hostile, se mêlant peu à la communauté baptiste qui constitue son voisinage. A cette époque, la traite négrière commence à prendre son essor mais n’est pas encore généralisée. D’ailleurs, Jakob n’y est pas favorable et c’est bien malgré lui qu’il se retrouve contraint d’accepter une fillette noire, Florens, en paiement d’une dette. Sa seule motivation est que la présence de la fillette aidera sa femme Rebekka à surmonter la perte de leur propre enfant, morte la tête fracassée par le sabot d’un cheval. A la ferme travaille déjà Lina, une indienne rescapée du massacre de sa tribu, Sorrow, une fillette qui a échappé à la noyade et qui manifeste des troubles de la personnalité, ainsi que deux hommes blancs qui effectuent leurs tâches en paiement de leur voyage depuis l’Europe. Alors que Jakob voit la construction de la demeure de ses rêves s’achever, il succombe à une épidémie de variole, qui contamine également sa veuve Rebekka, contraignant celle-ci à envoyer Florens à la recherche d’un homme capable de la sauver.

Autre surprise : le mode de narration qui alterne la voix de Florens et celle d’un narrateur qui raconte les faits vus successivement par l’ensemble des autres personnages. Ainsi, certains évènements reviennent plusieurs fois dans le récit, sous un éclairage différent, selon le point de vue qui s’exprime. Par exemple, le « don » de Florens, qui donne son titre au roman, en constitue l’ouverture, tel qu’il est vécu par la fillette, dans toute son incompréhension. C’est ensuite le narrateur qui replace l’épisode dans l’existence de Jakob. Finalement, le « don » est une dernière fois évoqué dans les dernières pages, faisant entendre la voix de la mère de Florens, et amenant enfin une touche d’amour et de tendresse.

J’ai été touchée par la force de ce roman, par le style presque incantatoire de Toni Morrison, par l’évocation des conditions de vie de ce petit groupe d’humains isolés dans une nature implacable, luttant tous les jours pour une survie nécessaire mais inexplicable. Qu’est-ce qui pouvait bien les pousser à vivre ainsi, où trouvaient-ils la force de se battre contre des éléments si défavorables ? C’est un vrai questionnement qui se pose pour moi suite à cette lecture.

Avec ce livre, je fais d'une pierre deux coups pour mon avancement dans mes challenges 2014 :
Comme déjà dit plus haut, Objectif Pal 2014 d'Antigone et Romancières américaines de Miss G.
 

jeudi 27 mars 2014

Une question d'attitude

Une question d’attitudeAlexander McCall Smith
Éditions des Deux Terres (2007)
Traduit de l’anglais par Martine Skopan


Dans ce troisième épisode des enquêtes philosophiques d’Isabel Dalhousie, notre philosophe doit faire face à de nombreuses questions d’éthique sur des sujets où elle est concernée en premier chef.
Ainsi, parce qu’elle envisage d’acquérir un logement pour le compte de Grace, sa gouvernante, elle demande à Jamie, l’ex-petit ami de sa nièce pour lequel elle éprouve une certaine attirance, de l’accompagner pour le visiter. La propriétaire, qui ignore les motivations d’Isabel, se méprend sur la nature de ses relations avec Jamie et, attendrie par le couple qu’ils semblent former, baisse de façon importante le prix de vente de l’appartement. Isabel devrait-elle la détromper  et réclamer de payer le juste prix pour cette acquisition ?
Isabel fait la connaissance d’un couple de Texans, venus en Ecosse pour échapper aux températures excessives de leur région d’origine. Lui, Tom Bruce, est un riche homme d’affaires. Angie, sa fiancée, est beaucoup plus jeune que lui et  elle a un comportement très libre avec tous les jeunes hommes qu’elle rencontre, y compris Jamie. Isabel, persuadée qu’Angie n’est intéressée que par l’argent de Tom, se demande si elle doit faire part de ses soupçons à celui-ci.
Et puis, Isabel se pose beaucoup de questions sur sa relation avec Jamie. Si une femme d’un certain âge comme la propriétaire de l’appartement s’est imaginée qu’elle et Jamie pouvaient être en couple, c’est que la situation n’est peut-être pas si improbable. Mais que dirait Cat, sa nièce ? Et puis Jamie ressent-il  les mêmes sentiments qu’elle ? La révélation d’un secret à propos de sa propre mère va changer le point de vue d’Isabel et la pousser à agir.


Ce sont encore une fois des péripéties bien plaisantes qui s’enchainent dans ce livre d’Alexander McCall Smith. L’humour est toujours au rendez-vous et les questions d’éthique qui se posent sont finalement très pertinentes.
J’attends avec impatience de découvrir la suite !

samedi 22 mars 2014

Le club des philosophes amateurs

Le club des philosophes amateursAlexander McCall Smith
Editions des Deux Terres (2005)
Traduit de l’anglais par François Rosso


Alors qu’elle vient d’assister à un concert de l’Orchestre symphonique de Reykjavik à l’Usher Hall et qu’elle discute avec une connaissance au premier balcon, Isabel voit un jeune homme tomber depuis le « paradis », le plus haut niveau de la salle de spectacles, passer à quelques dizaines de centimètres d’elle et s’écraser sur les fauteuils du parterre. Il décède avant d’arriver à l’hôpital. Isabel, très choquée, ne peut s’empêcher de s’intéresser au cas de ce jeune homme, ayant croisé le regard de celui-ci lorsqu’il chutait, ce qui fait d’elle la dernière figure humaine qu’il a vue avant le choc fatal. Elle apprend qu’il aurait pu être au courant de délit d’initiés et se demande alors s’il n’a pas été éliminé en tant que témoin gênant.
Une autre affaire, plus personnelle, perturbe Isabel. Elle n’apprécie pas Toby, le petit ami de sa nièce Cat et ne lui fait pas confiance.  Lorsqu’elle le surprend avec une jeune femme, après une petite filature dont elle n’est pas très fière,  elle hésite sur la conduite à tenir : Doit-elle garder le silence ou informer sa nièce, d’autant que les jeunes gens viennent de se fiancer ?


Ce premier épisode des enquêtes d’Isabel Dalhousie permet de faire connaissance avec les personnages récurrents de cette série écossaise: Isabel, quadragénaire divorcée, philosophe et rédactrice en chef de la Revue d’éthique appliquée, Cat, sa nièce, qui tient une épicerie-salon de thé, Grace, la gouvernante d’Isabel, adepte de spiritisme, Jamie, l’ex-petit ami de Cat dont il est toujours amoureux, Eddie, l’employé de l’épicerie, un jeune homme fragile.
Un autre élément très important dans cette série, c’est la ville d’Édimbourg, qu’Isabel parcourt dans tous les sens, au gré de ses visites ou de ses déplacements pour tenter de résoudre les mystères qu’elle a le chic pour faire éclater. Personnellement, la lecture de chaque épisode me donne envie de suivre les trajets d’Isabel avec Google Maps et de visualiser ce qui est décrit au fil des pages. Alexander McCall Smith est un très bon ambassadeur de la vie et de la culture écossaise !

Comme j’ai abordé cette série dans le désordre, j’étais déjà familiarisée avec le petit monde décrit ici et j’en ai découvert avec plaisir les prémices : l’histoire personnelle d’Isabel, son mariage raté, son travail pour la Revue, la relation entre Cat et Jamie, qui appartient déjà au passé lorsque commence ce premier épisode.
Je comprends également pourquoi cette série est rangée au rayon Policier à la médiathèque. En effet, l’enquête à laquelle se livre Isabel à propos du décès de Mark, le jeune homme qui a chuté et ses premières  pistes de recherche s’apparentent tout à fait à une intrigue policière. Mais, déjà dans ce premier épisode, le lecteur découvre qu’Isabel est prompte à s’emballer et qu’elle adore se mêler des affaires des autres. Elle s’interroge beaucoup sur son comportement et celui des autres, sur les contradictions auxquelles chacun doit faire face et sur la difficulté d’agir selon ses principes. Une lecture divertissante, mais pas seulement !
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mardi 18 mars 2014

The thing around your neck

The thing around your neckChimamanda Ngozi Adichie
Fourth Estate (2009)
Publié en français chez Gallimard sous le titre Autour de ton cou.


J’ai souvent du mal avec les nouvelles, je reste sur ma faim car je trouve que l’histoire aurait nécessité un développement plus important ou alors je ne rentre pas dans l’histoire car elle se termine trop vite à mon gré.
Mais, une fois n’est pas coutume, je ne peux faire aucun de ces reproches au recueil de Chimamanda Ngozi Adichie, que j’ai lu en anglais, au hasard d'un emprunt. 

Je n’ai eu aucun mal à saisir l’ambiance de ces nouvelles qui, pour onze d’entre elles, mettent en scène des femmes Nigérianes, dans leur pays natal, ou bien ailleurs en Afrique, ou encore émigrées aux États-Unis.
Dans Cell One, qui ouvre le recueil, une adolescente découvre son frère sous un jour nouveau alors qu’il est emprisonné parce qu’on le soupçonne d’appartenir à une secte. A travers ce qui lui arrive, toute la famille va être confrontée à l’horreur quotidienne de l’oppression. C’est une histoire glaçante, qui raconte en peu de mots la réalité d’un régime autoritaire et corrompu.
Dans The private experience, deux femmes se réfugient pendant une longue nuit dans une boutique dévastée, alors que des émeutes mettent la ville à feux et à sang. L’une est une étudiante chrétienne, en vacances chez sa tante, elle a perdu sa sœur dans la bousculade générale. L’autre, musulmane, est une vendeuse de légumes, et c’est sa fille qui a disparu. Tout les sépare et pourtant, durant ces heures qu’elles vont passer ensemble, effrayées et vulnérables, elles vont établir un lien de solidarité et une prise de conscience de leurs situations respectives.
Dans Ghosts, un vieil homme habitué à parler au fantôme de sa femme décédée, croit également voir le fantôme d’un ami, qu’il croyait mort depuis la guerre du Biafra. Mais l’ami est bien vivant, il a survécu aux combats et tous deux évoquent ensemble les années passées.
Dans The Arrangers of Marriage, une jeune épousée, dont le mariage a été arrangé, arrive aux  États-Unis avec son mari, qu’elle croit médecin aisé et intégré. En fait, il est encore interne, a du mal à joindre les deux bouts et n’assume pas du tout son identité. Il insiste pour qu’elle ne parle qu’anglais, qu’elle adopte comme lui un prénom américain et renie leur culture et leurs traditions. La jeune femme va néanmoins trouver dans ce nouveau pays les ressources pour s’émanciper et découvrir la liberté.
J’ai été très émue par The American Embassy : Une femme vient déposer une demande d’asile politique à l’ambassade des Etats-Unis. Son mari a dû quitter le pays et son jeune fils a été tué. Mais elle ne peut se résoudre à se servir de la mort de son fils pour justifier sa demande et rebrousse chemin. 

En fait, il faudrait les citer toutes, ces douze nouvelles qui en disent tant sur la société nigériane, sur les  femmes et les hommes de ce pays, sur la guerre du Biafra qui est évoquée à plusieurs reprises, et qui semble avoir laissé des traces dans l’histoire du pays. Je dois avouer que j’aurais été incapable de situer cette guerre au Nigéria, bien que je me souvienne de ces photos d’enfants affamés qui étaient insoutenables.

En cherchant un peu sur la Toile, j’ai trouvé de nombreuses références à la littérature Nigériane, comme ici, par exemple, ce qui m’a donné des idées de lecture, pour changer des auteurs que je lis habituellement et sortir des sentiers battus.

Pour ceux que ça intéresse, la fiche du livre chez Gallimard donne accès au début de la première nouvelle du recueil, Cellule Un .
J’ai trouvé la même nouvelle complète, en anglais sur le site du New Yorker, ainsi que celle qui clôt le recueil, The headstrong historian.

Une très belle découverte que Chimamanda Ngozi Adichie, que je poursuis actuellement en lisant un de ses romans, L’hibiscus pourpre.

D'autres avis à lire  avec l'article de Tirthankar Chanda sur RFI ou à écouter avec la chronique d’Hortense Volle dans l’émission L’Afrique enchantée du 24 février 2013.
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