mercredi 21 décembre 2016

Le vent se lève

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Le vent se lève – Sophie Avon

Mercure de France (2016)

Début des années 80 : Lili, vingt-trois ans, embarque avec Paul, son frère, et Faustine, une amie, sur le voilier Horus. Leur projet : traverser l’Atlantique pour rallier le Brésil. 
Lili laisse Vincent au port, ou plutôt à Bordeaux, c’est un jeune professeur qu’elle vient de rencontrer. Bien que très amoureuse de lui, elle ne veut pas renoncer à la traversée, un voyage qu’elle et Paul ont décidé depuis longtemps. Leur périple les mène d’abord de La Corogne à Madère, puis aux Canaries et enfin au Sénégal, dernière étape avant la grande traversée. Arrivés au Brésil, ils vont découvrir les réalités du pays, dans des lieux tantôt paradisiaques, tantôt misérables et déroutants. Et puis, après plusieurs mois, Lili doit revenir en France et faire face à une dépression qu’elle n’avait pas anticipée.

Bien qu’il s’agisse d’un roman, il y a sans doute une grande part autobiographique dans ce livre, très plaisant. Sorte de carnet de voyage, il nous fait partager les moments à bords, les avaries, les tempêtes, les escales et les rencontres dans les ports, la découverte du Brésil, les surprises et les déceptions que peut apporter un tel voyage. Ensuite, je suis restée un peu sur ma faim lorsque l’auteur raconte le retour en France et les difficultés que rencontre Lili à se réadapter à un mode de vie plus classique. Le récit reste un peu trop superficiel et personnellement, j’ai eu du mal à partager le malaise de Lili, à comprendre ce qu’elle ressentait. Sans doute, l’auteur ne voulait-elle pas trop livrer d’elle-même, si cette dépression a véritablement été la sienne, ou bien n’a pas pu développer suffisamment un épisode de fiction.

Malgré cette fin moins réussie, j’ai lu ce livre avec plaisir. Il m’a rappelé des voyages personnels, à la fin de ma vie étudiante, lorsque nous partions à l’aventure, sans itinéraire précis, prenant le temps de découvrir des lieux et des gens, au hasard des rencontres et des évènements. Cette lecture m’a remis en mémoire une certaine insouciance, que l’on perd au fil des années et de la vie qui s’écoule.

Un extrait page 63
Manger du pain frais en plein Atlantique est un luxe qui nous renforce dans l’idée que nous sommes les rois de la planète bleue. Adieu les tracas de la vie quotidienne, les cieux plombés de l’hiver, les obligations en tout genre, adieu parents, patrons, collègues. Nous sommes libérés d’une existence qui nous assomme, exemptés du poids social, délivrés des mirages de la réussite, soulagés de tous les boulets de l’humanité, et plus encore : affranchis de la rotation terrestre et du temps dont nous modifions la course en poursuivant l’autre hémisphère, échappés de la longue chaîne des hommes dont nous avons choisi de nous exclure momentanément, jusqu’à notre filiation dont nous avons rompu le câble de transmission, la suite naturelle. Nous sommes le chaînon manquant, le mouton noir transformé en oiseau, l’animal domestique converti en poisson volant. Nous planons.

De Sophie Avon, j'avais lu Les silences de Gabrielle, son premier livre publié en 1988. Il doit d'ailleurs se trouver encore sur une étagère de ma bibliothèque. C'est à Bernard Pivot et à l'émission Apostrophes que je devais cette découverte. En revanche, j'ignorais totalement que Sophie Avon avait publié depuis d'autres ouvrages et je n'avais même pas fait le lien avec la Sophie Avon qui intervient sur France-Inter dans le Masque et La Plume.

Quatrième lecture dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2016.


D'auvres avis sur Le vent se lève : Les mots de la fin, Meelly lit.

mardi 20 décembre 2016

Les autres

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Les autres – Alice Ferney

Actes Sud Babel (2006)

C’est l’anniversaire de Théo qui fête ses vingt ans dans la maison de ses parents, en compagnie d’Estelle sa fiancée et de Niels son frère aîné. Sont également invités Claude, le meilleur ami de Niels, et sa fiancée Fleur, ainsi que Marina, une amie d’enfance de Théo qui est venue accompagnée de son fils qu’elle élève seule. Moussia, la mère de Niels et Théo est également présente, même si elle s’absente souvent pour aller voir sa mère, Nina, qui dort à l’étage, trop fatiguée pour se joindre à la soirée. Niels a offert à son frère un jeu de société, Personnages et caractères, sorte de jeu de la vérité, censé permettre aux joueurs de mieux se connaitre mutuellement. Niels fait le forcing pour convaincre les autres de participer, certains sont très réticents mais se laissent convaincre. Au cours de la soirée, plusieurs secrets vont être mis à jour, certains resteront connus seulement du lecteur, chacun des participants va apprendre sur lui-même et sur ses compagnons de jeu des choses surprenantes et pas toujours agréables.

Ce qui fait l’originalité de ce roman, c’est que cette soirée nous est racontée trois fois : d’abord, uniquement à travers les pensées de chaque personne présente dans la maison ; ensuite, uniquement par les dialogues échangés entre les participants ; finalement, c’est un narrateur externe qui rapporte ce qu’il observe, comme le ferait le spectateur impartial d’un film.

Personnellement, c’est la première partie que je trouve la plus intéressante et la plus réussie. La retranscription des pensées de chacun permet de suivre l’évolution des personnages au cours de la soirée, l’état d’esprit dans lequel ils sont au début, leurs réactions à l’énoncé des règles du jeu, la réticence, l’acceptation ou l’enthousiasme, et puis la façon dont ils accueillent les propos des autres au fur et à mesure que le jeu se déroule, avec ses violences et ses non-dits. Cette première partie aurait pu se suffire à elle-même. Bien sûr, le lecteur n’aurait alors eu qu’une perception partielle de la soirée mais il y avait de quoi construire un roman complet.

Ensuite, la partie des dialogues vient compléter l’histoire, remet les échanges à leur juste place, révèle les susceptibilités, montre l’écart entre ce que l’on pense et ce que l’on dit. Dommage que les dialogues soient un peu trop travaillés, manquant de naturel et de spontanéité quelquefois.

Puis enfin, la narration d’un point de vue extérieur apporte une certaine banalisation à l’histoire, puisque certaines informations n’ont jamais été verbalisées et ne sont donc pas perçues par un tiers. Nécessaire dans ce triptyque qu’a conçu l’auteur, cette partie n’apporte rien de fondamental à l’intrigue. Mais elle permet de mettre en évidence ce qui peut manquer dans un rapport « objectif », qui ne rendrait compte ni des pensées des protagonistes, ni des échanges verbaux entre eux.

Livre intéressant, peut-être un peu long sur la fin, puisqu’il y n’y a plus grand-chose à découvrir au troisième passage ! J’aime toujours la plume d’Alice Ferney, sa précision et sa subtilité, sa capacité à créer des personnages sensibles et complexes, où l’on peut se reconnaître partiellement. Mais j’aurais un peu de mal à désigner mon personnage préféré dans le groupe que l’auteur a constitué dans ce livre. Chacun a ses défauts et ses qualités, comme nous tous d’ailleurs, et c’est ce qui, finalement, les rend très crédibles.


D'autres avis sur ce livre : celui de Clochette, enthousiaste, celui de Papillon qui a moins aimé et beaucoup d'autres chez Babelio.

jeudi 17 novembre 2016

Ici et maintenant

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Ici et maintenant – Pablo Casacuberta

Éditions Métailié (2016)
Traduction de François Gaudry


Máximo Seigner, dix-sept ans, vit seul avec sa mère et son jeune frère de neuf ans, Ernesto, qu’il ne nomme jamais que « le nain », avec lequel il ne s’entend absolument pas. Leur père a disparu un beau jour, ce qui leur vaut la présence quasi constante de l’oncle Marcos, avec ses blagues lourdes et répétitives, que Máximo ne supporte pas non plus. Afin de contenter sa mère qui souhaite le voir travailler pendant les vacances scolaires, Máximo se présente à l’hotel Samarcanda qui a publié une offre d’emploi attrayante : Emploi d’avenir pour jeunes gens entre 15 et 20 ans possédant le goût du service, de l’ambition et du temps disponible. Employés de classe internationale pour un hôtel de classe internationale. Contre toute attente, Máximo est engagé, après un entretien un peu surréaliste avec la propriétaire de l’hôtel, Camila Badembauer. Le lendemain, il se présente à l’hôtel pour sa première journée de travail.

Comme beaucoup d’adolescents, Máximo est à la fois agaçant et attendrissant. Peu sûr de lui, solitaire, il s’est constitué une carapace de savoirs, plongé toute la journée dans deux revues scientifiques, qu’il connait par cœur, accumulant les connaissances où il espère trouver des réponses aux questions existentielles qu’il se pose. Il se sent incompris dans sa famille, éprouve une véritable haine pour son frère et du mépris pour son oncle. Il se rappelle avec nostalgie les moments passés avec son père. Lorsqu’il découvre l’annonce de l’hôtel, il est séduit par le caractère international du poste et espère pouvoir mettre à profit ses connaissances. L’aspect de l’hôtel refroidit rapidement son enthousiasme mais sa rencontre avec Mme Badembauer et un geste qu’elle fait à son encontre l’amènent à se projeter dans un avenir prometteur.  Ce qu’il n’imagine pas, c’est comment, en un jour et une nuit, sa vie va basculer de l’enfance à l’âge adulte. Il va découvrir le secret de sa mère, savoir ce qui est arrivé à son père et surtout établir une relation complètement différente avec son frère. Il va aussi devoir faire des choix et les assumer, et se détacher de son univers protecteur.

C’est un roman d’apprentissage très plaisant, le style est vif et dépouillé. Le lecteur suit facilement les pensées de l’adolescent et détecte rapidement ses contradictions. Par de nombreux flashbacks, on en apprend davantage sur la vie familiale et sur les évènements qui ont marqué Máximo, le maintenant enfermé dans un étau de préjugés. Sa journée et sa nuit à l’hôtel vont bouleverser sa vision de la vie. Au matin, sa rencontre avec un vieux libraire va définitivement le pousser à changer ses repères.

J’ai vraiment bien aimé ce livre. Le ton m’a semblé différent de ce que je lis habituellement. Peut-être est-ce parce qu’il s’agit d’un roman écrit par un auteur uruguayen, Pablo Casacuberta, né en 1969. Je connais très peu la littérature sud-américaine. J’ai trouvé ici l’envie d’en découvrir davantage. Peut-être Scipion, l’autre livre de Pablo Casacuberta traduit en français.

Extrait page 19
Je devais essayer de décrocher cet emploi. Mon honneur - disons-le – était en jeu. Sortir le matin avec des vêtements bien repassés pouvait me faire gagner de nombreux points sur le nain : rentrer à la maison fatigué, me mouvoir avec une lenteur épique et demander à ma mère un verre d’eau constitueraient, je voulais le croire, un coup aux effets destructeurs. Il y avait en outre cette précision, employés de classe internationale, qui excitait le côté le plus narcissique de mon caractère, cette mémorisation obsessionnelle des capitales du monde : savoir qu’Oulan-Bator était en Mongolie, que la monnaie de l’Angola était le kwanza, qu’Agostinho Neto avait dirigé la guerre d’indépendance en 1975, et qu’on ne devait plus dire Haute-Volta, autant de détails qui, selon moi, me rendaient beaucoup plus digne d’être considéré comme un employé de classe internationale que, par exemple et sans aller chercher très loin, l’oncle Marcos. (…) 
D'autres avis sur ce livre chez Charybde27, Miscellanées, Clara, et Keisha ainsi qu'une interview de l'auteur sur le site de Télérama.

mercredi 9 novembre 2016

Comment tu parles de ton père

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Comment tu parles de ton père – Joann Sfar

Albin Michel (2016)

Joann Sfar a perdu son père, après avoir assisté à son agonie, sur son lit d’hôpital. Ce livre, c’est son kaddish, celui qu’il n’a pas pu réciter devant la tombe.

En un récit très décousu, il raconte son père, ses grands-parents, sa mère morte à vingt-six ans alors que lui-même en avait trois et demi et dont la mort lui a été longtemps cachée par son père, justement. Il raconte aussi sa propre vie, ses amours plutôt raisonnables, sa difficulté à se détacher du modèle paternel, le havre que représente pour lui le dessin, son territoire réservé.

C’est un livre impossible à résumer, dense comme la vie, riche de l’héritage culturel que l’auteur a reçu des parents qui l’ont précédé.
Joann Sfar se retrouve définitivement orphelin à quarante-trois ans. Ne plus être l’enfant de personne, c’est un cap à franchir, ce peut être une épreuve. Tout le monde y est confronté à un moment donné de sa vie, plus ou moins tôt, dans des conditions très différentes selon la nature des décès. Joann Sfar, qui a toujours admiré son père, a eu le temps de voir la déchéance de celui-ci au cours de sa maladie. C’est aussi cela qu’il faut digérer, accepter et laisser derrière soi pour vivre sa propre vie, enfin libre de toute entrave du passé.

C’est un livre émouvant et sincère mais pas triste. On rit souvent des anecdotes que raconte l'auteur à propos de son père et de lui-même. On imagine sans peine l’enfant que Joann Sfar a été, déchiré par l’absence de sa mère et ébloui par la vie trépidante de son père. C’est un livre très personnel, l’écrire lui a sans doute fait du bien.


Quelques extraits de ce livre :

Au lieu de passer une vie à tenter de prouver que mon père avait tort, j’aurais mieux fait de prendre des notes. Pas pour désespérer, ni de l’amour ni de la nature humaine, mais enfin cela m’aurait aidé à comprendre les lois de l’attraction universelle.
 Je n’écris pas pour qu’on se souvienne de l’agonie. Je souhaite m’en débarrasser.
 Je dois beaucoup à mon père mais le plus grand cadeau qu’il m’a fait a consisté à ne pas savoir dessiner. Merci, papa, d’avoir laissé un espace vierge, dans lequel aujourd’hui encore je m’efforce de grandir.
C'est ma troisième lecture dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2016.

mardi 1 novembre 2016

New York Esquisses nocturnes

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New York Esquisses nocturnes – Molly Prentiss

Calmann-Lévy (2016)
Traduction de l’anglais de Nathalie Bru.


New-York, 1980. James Bennett est un critique d’art, enfin reconnu après des années difficiles. Sa chronique régulière dans le New-York Times est très attendue des lecteurs qui font confiance à son jugement sur les œuvres qu’il faut découvrir. James est doué de synesthésie, c’est-à-dire que ses sensations face aux choses et aux gens se traduisent en couleurs. Ainsi, il se représente sa femme, Marge, directrice artistique d’une agence de publicité, comme une fraise sauvage. C’est ce don de synesthésie qui lui apporte de la matière pour écrire, qui le plonge dans un univers de couleurs face à une œuvre ou un spectacle et qui lui fournit l’énergie nécessaire pour communiquer son enthousiasme à ses lecteurs.
Mais ce don est fragile et James le perd à l’occasion d’un évènement traumatique. Incapable d’écrire la moindre ligne inspirée, il est rejeté du Times, se retrouve entièrement dépendant de Marge et sombre dans la dépression. Alors qu’il s’est résolu à vendre aux enchères un des tableaux de sa collection d’art pour tenter de redresser sa situation financière, son don de synesthésie se réveille brutalement face à l’œuvre d’un artiste encore inconnu, Raul Engales, jeune peintre argentin qui a fui la dictature et qui fréquente le milieu artistique New-Yorkais où il côtoie des gens comme Jean-Michel Basquiat et Keith Haring. James tente alors de rencontrer ce nouveau génie, ce qui va s’avérer difficile, car Raul a été lui aussi victime d’un accident qui met son talent en péril et il refuse tout contact avec quiconque. C’est Lucy, la jeune femme représentée sur le tableau de Raul qui a tant impressionné James, qui va alors établir le lien entre les deux hommes, même si ce n’est pas de la façon la plus propice !


C’est une histoire foisonnante, dans laquelle j’ai eu un peu de mal à entrer. Les tourments de James Bennett, son égocentrisme et sa confusion ne le rendent pas forcément sympathique au début. Ce n’est que lorsqu’il est davantage question de Raul Engales que le roman démarre vraiment, à mon avis.
L’art et le génie créatif ne sont pas les seuls thèmes développés ici, il y a aussi la nostalgie du pays abandonné, le remord que Raul éprouve vis-à-vis de sa sœur restée en Argentine et avec laquelle il a volontairement rompu tout contact. Est évoqué aussi le thème de la filiation, dont James ne ressent l’importance que lorsqu’elle lui échappe.
Face aux deux hommes très centrés sur eux-mêmes et souvent coincés par leurs problèmes, ce sont les femmes qui agissent, qui assurent et qui ramassent les morceaux. Elles s’appellent Franca, Marge, Arlène, Winona et Lucy et ont toutes une place importante dans ce roman de passion et de couleurs.



Merci à PriceMinister et aux éditions Calmann-Lévy qui m’ont offert ce livre dans le cadre des Matchs de la Rentrée littéraire #MRL16.




 Cette lecture me fait aussi avancer dans le challenge 1% de la rentrée littéraire 2016 : 2/6



Ma première rencontre avec ce livre a eu lieu chez Sylire.

lundi 31 octobre 2016

Le cœur du problème

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Le cœur du problème – Christian Oster

Éditions de l’Olivier (2015)

En rentrant chez lui un soir, Simon découvre un homme mort dans son salon. Il a manifestement chuté de la mezzanine, dont la rambarde en bois est brisée. Simon ne le connait pas et Diane, sa femme, qui est en train de prendre un bain à l’étage, refuse d’expliquer ce qui s’est passé. Elle s’habille, fourre quelques affaires dans un sac de voyage et s’en va, demandant simplement à Simon s’il pense pouvoir de débrouiller de tout cela. Simon, abasourdi, enterre le corps dans le jardin, puis au bout de quelques jours, signale la disparition de Diane à la gendarmerie. Il y fait la connaissance d’Henri, un gendarme à la retraite. Une relation particulière s’installe entre les deux hommes, amicale certes, mais également ambigüe car Simon ne sait pas ce qu’Henri cherche réellement.

C’est une histoire bizarre, que l’on découvre en même temps que Simon, le narrateur, dont on partage les hésitations et les interrogations. Au fur et à mesure que s’enchaînent les évènements, on s’interroge : Aurais-je fait comme lui, qu’est-ce qui se serait passé s’il avait plutôt fait ceci ou cela ? On s’inquiète de la présence d’Henri, de son insistance à installer une relation. Très vite, on se sent pris, comme dans une toile d’araignée dont on ne pourrait pas se dépêtrer. Simon ne maitrise plus rien, et le lecteur non plus, qui assiste impuissant à un délitement inéluctable, comme dans un rêve, comme une fuite en avant.

J’ai bien aimé ce livre, par la proximité que le style très libre installe avec le héros. Mais la fin, qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe m’a laissée perplexe et un peu déçue. Simon est tellement attachant que j’aurais aimé un happy end clair et net, alors que les dernières lignes du roman laissent planer un doute sur l'issue de l'histoire.

Des avis favorables et plus tranchés chez Virginie et MicMélo.

mercredi 19 octobre 2016

Un travail comme un autre

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Un travail comme un autre - Virginia Reeves

Stock La cosmopolite (2016)
Traduit de l'anglais par Carine Chichereau

Dans les années 1920, Roscoe T Martin vit avec sa femme et son fils dans la ferme dont Marie a hérité de son père. Roscoe n’aime pas le travail agricole, ce n’est pas la vie dont il avait rêvé. Lui, ce qui le passionne, c’est l’électricité, c’était son métier avant que l’héritage ne le contraigne à quitter la centrale électrique et à suivre sa femme en pleine campagne. La ferme vivote, jusqu’à ce que Roscoe décide de la raccorder clandestinement au réseau de la compagnie locale, tout en mentant à sa femme sur la nature de ce branchement. Il se fait aider par Wilson, leur ouvrier agricole noir, pour l’installation des poteaux qui vont permettre d’acheminer à la ferme le courant qui va amener le progrès, le confort et la prospérité à l’exploitation. Hélas, un jour, un employé de la compagnie d’électricité s’électrocute en contrôlant le branchement sauvage de Roscoe. Lui et Wilson sont immédiatement arrêtés puis condamnés, Roscoe à vingt ans de prison et Wilson à dix ans. Roscoe est envoyé à la prison de Kilby, près de chez lui. Wilson, lui, comme il est de tradition pour les noirs condamnés à cette époque dans l’Alabama, est « vendu » à une société privée qui le fait travailler dans une mine, dans des conditions d’esclavage.  
 

La plus grande partie du roman est consacrée au séjour de Roscoe en prison et constitue une charge contre les conditions carcérales de l’époque, la violence et la cruauté qui y règnent. La vie pénitentiaire est décrite très précisément par l’auteur, la hiérarchie instituée entre les détenus, les différents travaux auxquels ils sont contraints. Comble de malchance pour Roscoe, il est d’abord affecté à la laiterie, retrouvant en prison l’environnement agricole auquel il voulait tant échapper. Puis après quelques mois heureux à la bibliothèque, il doit participer à l’entrainement des chiens chargés de retrouver les prisonniers évadés, ce qu’il déteste faire, d’autant plus que les détenus sont eux-mêmes mis fortement à contribution lors des chasses à l’homme en cas d’évasion, risquant eux-mêmes leur vie.
 

Un thème important dans ce roman, c’est la culpabilité que Roscoe et Marie éprouvent, chacun à sa façon et qu’ils assumeront différemment. Roscoe y trouve matière à expiation et veut se racheter, autant vis-à-vis de la société que de ses proches. Marie tente de réparer au mieux le préjudice causé à Wilson mais sa rancœur vis-à-vis de Roscoe va se muer en haine et la conduire à la pire des trahisons. Une culpabilité à propos du détournement de la ligne électrique et de ses conséquences, mais aussi une culpabilité qui prend racine beaucoup plus tôt dans les relations du couple et dans son histoire. 

Un autre thème, c'est l'attrait de la technologie moderne, à travers l'arrivée de l'électricité. Roscoe est passionné par l'électricité, il sait combien cette évolution technologique peut changer la vie, libérer l'Homme du travail physique et répétitif. Lorsqu'il décide d'amener l'électricité à la ferme, c'est avant tout pour participer d'une façon positive au travail de la ferme, pour faciliter la vie de Marie et lui apporter un profit mérité. Mais Roscoe est un précurseur et personne, et surtout pas sa femme, ne le comprend. Une incompréhension déjà bien installée entre eux et qui ne va faire que s'accentuer après la catastrophe. 
 

Un premier roman bien construit, maitrisé et très bien documenté, des personnages émouvants et complexes : ma première lecture dans le cadre du challenge 1% de la rentrée littéraire 2016 a été un coup de cœur. 



Les premières pages à lire ici. 


mercredi 21 septembre 2016

Faillir être flingué

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Faillir être flingué – Céline Minard

 (Rivages 2013)

C’est une histoire atypique que raconte Céline Minard dans ce livre, atypique parce que ce genre d’histoire, c’est au cinéma qu’on la regarde d’habitude. Ce roman est un western, avec des pionniers, des cow-boys et des indiens, un saloon, ses filles et sa patronne au caractère affirmé, des gentils et des méchants qui seront punis à la fin, comme il se doit. Les premiers chapitres progressent indépendamment les uns des autres, nous faisant suivre plusieurs personnages dans des aventures diverses, sans lien entre elles, si ce n’est une paire de bottes et un cheval qui changent de propriétaire. Des personnages qui se retrouvent tous en un même lieu, et qui vont contribuer à bâtir une communauté, au fur et à mesure de l’évolution des projets et des rêves de chacun.
 


J’ai bien aimé le style de Céline Minard, très précis, riche en détails, aussi bien pour décrire les paysages, les comportements que les actions banales ou inhabituelles de ses personnages. J’ai souvent eu l’impression de regarder un film, où la caméra zoomerait sur les mains d’un des acteurs pour que l’on ne perde pas une miette de l’action. En revanche, on sait assez peu de choses de la psychologie des personnages et aussi peu de leur histoire. Ce qui fait qu’il ne me restera sans doute que peu de souvenirs de ce roman dans quelques semaines, juste le plaisir de la lecture que l’on savoure sur le moment, l'attrait des grandes espaces et le souffle de l'aventure. Et c'est peut-être déjà beaucoup !

Un extrait page 151 :
Bird se détendit et mit pied à terre pendant que Brad s’éloignait et que Jeffrey montait à l’arrière. Un premier coup d’œil lui permit de prendre la mesure des dégâts. Plus de gamelles, de louches, de drap, et toutes ces broutilles qui remplissaient tout un compartiment. Plus de compartiment non plus. Les deux planches avaient basculé et remué les affaires n’importe comment. Le tonnelet de rhum était là. Celui de poudre aussi, il n’y avait qu’à espérer que la cire et la toile goudronnée aient tenu. Une des peaux de bison était roulée en boule contre la caisse à munitions. Jeffrey respira. Tout n’était pas perdu. Il enjamba le fouillis pour voir s’il trouvait la boîte à café dans le compartiment sous le siège. Il tomba tout de suite sur la cafetière mais il dut retourner casseroles, gobelets et assiettes en fer-blanc pour mettre la main sur le pot à demi rempli d’eau. Il le tira en souriant de sous une chemise qui pissait un mélange boueux. Puis il sortit du chariot en le brandissant au-dessus de sa tête :
-    Il est à moitié passé, il était temps qu’on sorte les tasses !
Écoutez Céline Minard à propos de ce livre dans l'émission Les bonnes feuilles sur France-Culture (20.08.2013)

Ce livre a reçu le prix Livre Inter en 2014.

samedi 10 septembre 2016

La tyrannie des apparences

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La tyrannie des apparences – Valérie Clò

Éditions Buchet-Chastel (2015)

C’est un temps où l’espérance de vie dépasse largement le siècle, un temps où l’on est capable de régénérer les organes déficients, un temps où la vraie vie ne commence qu'à la quarantaine, un temps où il ne fait pas bon être jeune. Alors, comme presque tous ceux de sa génération, Thalia a commencé à se teindre les cheveux en gris à l’âge de quinze ans et elle attend impatiemment d’atteindre ses dix-huit ans pour commencer les injections qui vieilliront sa peau prématurément et feront apparaitre ses premières rides. Mais il est une chose pour laquelle les jeunes filles sont encore irremplaçables, c’est pour leur capacité à donner la vie et c’est la raison pour laquelle son père cherche à la convaincre d’épouser un homme dans la force de l’âge. Mais Thalie, pourtant jusque-là assez docile envers les décisions de ses parents, est réticente à ce mariage et elle commence à remettre en question la dominance des vieux dans la société. Elle découvre un livre, La tyrannie des apparences, écrit en un autre temps par une certaine Laura Franck, à une époque où le pouvoir appartenait aux jeunes, où il fallait tout faire pour masquer les signes de l’âge si l’on voulait garder une place active dans le milieu professionnel et dans la société. La lecture de ce livre où Laura raconte son cheminement face à la tentation de l’opération esthétique et la rencontre de Thalia avec Loïs, un garçon de son âge qui refuse tout traitement de vieillissement prématuré, vont alimenter les doutes de la jeune fille et la pousser à s’opposer aux projets de ses parents.

Page 9 :
Ma mère trouve que je suis trop tournée vers le passé. Toujours à fouiner pour comprendre. Elle dit qu’il n’y a rien à comprendre, c’est comme ça, les jeunes doivent attendre leur tour. J’ai presque dix-huit ans, et je traque mes premières rides avec impatience. Je ne peux espérer un emploi avant une vingtaine d’années. En attendant, je dois regarder les vieux prendre les bonnes places. On est tous dans le même bateau, mais ce qui est réconfortant c’est qu’un jour viendra où nous aurons enfin le pouvoir. Et, croyez-moi, on l’appréciera, on regardera les jeunes galérer avec leur peau de bébé, et on se rappellera le temps de la jeunesse sans aucune nostalgie.
Page 10 :
Je suis passionnée d’histoire et cherche à lire tout ce qui concerne la vie d’avant. Il y a une époque qui m’intéresse plus particulièrement, c’est celle où les jeunes avaient le pouvoir. Les vieux étaient rejetés au ban de la société. Mes parents, surtout ma mère, détestent que j’évoque cette période. Ils disent que c’était une époque maudite, que tout allait de travers. Mon père préfèrerait que je m’intéresse à la biologie, à la médecine, au progrès scientifique. À l’avenir, quoi ! Mais moi, c’est plus fort que tout, le passé m’attire, il y a dedans comme un secret à découvrir, quelque chose que l’on veut nous cacher.
N’étant pas fan de science-fiction, je n’aurais sans doute jamais découvert ce livre si sa couverture sobre ne l’avait pas fait ressortir au milieu de celles plus colorées des ouvrages présents sur la table des nouveautés SF à la médiathèque. La quatrième de couverture était compréhensible, le thème m’a intéressée, alors je me suis laissée tenter. Et bien m’en a pris. J’ai lu ce court livre d’une traite et apprécié l’opposition entre cette société du futur où l’on n’est rien avant la quarantaine et la nôtre, où l’on traque l’apparition de la moindre ride ou du premier cheveu blanc, qu’il faut cacher à tout prix, pour rester dans le vent. Finalement, on se rend compte que cette tyrannie des apparences est aussi toxique dans un sens que dans l’autre, ce qui n’en fait que mieux comprendre l’importance de s’accepter et surtout la nécessité de respecter la place de chacun, quel que soit son âge et son physique.
Je ne connaissais pas Valérie Clò mais je vais certainement m’intéresser à ses autres romans.

samedi 3 septembre 2016

Cet été-là, de braise et de cendres

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Cet été-là, de braise et de cendres – Alain Vircondelet

Éditions Fayard (2016)

Cet été-là, c’est celui de 1945, alors que Marguerite Duras a accompagné son mari, Robert Anthelme, à Saint-Jorioz en Haute-Savoie. Celui-ci, de retour de Dachau dont l’a ramené Mitterrand, est en convalescence à l’hôtel de la Poste et Marguerite loge à côté, partageant son temps entre les visites à son mari, ses promenades dans la nature environnante, son travail d’écrivain et son histoire d’amour avec Dionys Mascolo, son amant, qui la rejoint quelquefois. C’est le temps de la détente mais aussi d’un retour sur elle-même, sur ces années de guerre si difficiles, sur la perte de son enfant. C’est le temps des interrogations sur sa vie future, entre deux amours différents et complémentaires, et sur l’écrivain qu’elle veut devenir. L’été 45, c’est aussi celui des bombes à Hiroshima et à Nagasaki, de la prise de conscience que l’horreur continue et qu’il faut vivre avec.

Comme le précise la quatrième de couverture, ce livre est « le premier roman qui met en scène Marguerite Duras ». Évidemment, le sujet est excitant, tant la vie de Marguerite Duras est riche et passionnante, et tant l’époque immédiate de l’après-guerre suscite de questions et de débats. Le style est assez lyrique, ce qui m’a parfois agacée mais l’ensemble est agréable à lire, très documenté. J’ai un peu moins adhéré à tout ce qui concerne les tourments de l’écrivain, la difficulté de Duras à produire un nouveau roman dans les circonstances où elle se trouve. Qu’est ce qui relève de l’imagination d’Alain Vircondelet et qu’est-ce qui est vrai, ce sont les questions que je me suis posée à la lecture de ce livre, qui m’a donné envie de me replonger dans les livres de Duras, et en particulier dans ses Cahiers de la guerre et autres textes, que j’avais lus à sa sortie. 

Lorsque je parcours la bibliographie d’Alain Vircondelet fournie en début et en fin de livre, je suis impressionnée par le nombre d’ouvrages qu’il a consacrés à Duras. Aucun doute, il connait parfaitement son sujet !

Et puis, comment ne pas être subjuguée par la magnifique photo de Marguerite Duras en couverture ? À l’admiration succède rapidement la prise de conscience des ravages du temps sur la beauté. Qu’en est-il de nous ? Sans doute la même issue ! Heureusement que les années n’ont pas le même impact sur les mots, et qu’au contraire, elles peuvent les magnifier. Avantage aux femmes de lettres sur les mannequins !

jeudi 1 septembre 2016

Les vies extraordinaires d'Eugène

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Les vies extraordinaires d'Eugène - Isabelle Monnin

Éditions Jean-Claude Lattès (2010)

Eugène était un petit garçon, né très prématurément un jour de novembre 2007 et mort 6 jours plus tard, à cause d’une infection due au staphylocoque doré. Sa mère sombre rapidement dans le mutisme et occupe ses journées à coudre des pantalons de velours rouge, dans toutes les tailles qu’aurait dû porter Eugène, s’il avait eu la chance de grandir. Le père, pour suivre le conseil de la psychologue de l’hôpital, tente de raconter la vie de son fils, mettant en pratique ses méthodes d’historien. Il interroge les professionnels qui se sont occupés de l’enfant, il replace son fils dans la généalogie familiale en évoquant ses grands-parents. Il imagine ce qu’aurait été la vie d’Eugène, allant jusqu’à dérober la liste des enfants qui auraient fréquenté la crèche en sa compagnie, puis il mène l’enquête sur leurs familles. Et parce qu’il faut continuer à vivre et avoir des projets, il se prépare pour le marathon de New-York.

J’ai beaucoup aimé ce livre d’Isabelle Monnin, même si le sujet est bien difficile. Au-delà de l’émotion qu’il suscite, le style de la narration conduite par le père amène aussi le sourire, par ses jeux de mots, par sa volonté de prendre des expressions au pied de la lettre, par le burlesque de certaines situations. Ce qui me restera de ce magnifique témoignage, c’est l’impossibilité de raconter l’enfant disparu et le besoin de sortir du chagrin, un jour, sans renier le passé mais sans s’y appesantir. Le roman s’achève sur les mots de la mère à son fils, une lettre qu’elle lui a écrite et qu’elle a placée près de l’urne, au columbarium.

Un texte poignant et juste, qui laisse le cœur serré.

lundi 8 août 2016

Outre-terre

Outre-terre-Jean-Paul-Kauffmann-Rue-de-Siam

Outre-terre – Jean-Paul Kauffmann

Éditions des Équateurs (2016).

Outre-terre, c’est ainsi que les Russes désignent l’enclave de Kaliningrad, seul accès de l’ex-URSS à la mer Baltique. Maintenant que l’URSS n’est plus, cette région russe se trouve coincée entre la Pologne et la Lituanie, et séparée de la Russie par la Biélorussie. C’est là, près de Königsberg, ancien nom de Kaliningrad, que se sont déroulées en 1807 deux batailles napoléoniennes, celle d’Eylau et celle de Friedland, dans ce qui était alors la Prusse Orientale, qui deviendra allemande puis sera annexée par l’URSS en 1945. Deux batailles qui furent gagnées par les armées de Napoléon, certes, mais il s’en est fallu de peu pour qu’Eylau tourne au désastre pour la France, comme un sinistre présage à Waterloo. C’est la charge de la cavalerie de Joachim Murat qui a donné la victoire à Napoléon, alors que l’Empereur lui-même se trouvait en fâcheuse position face aux forces adverses.

Jean-Paul Kauffmann avait déjà visité Königsberg et le site d’Eylau en 1991 et s’était promis d’y revenir. En 1997, il avait proposé à sa femme et à ses deux fils de faire tous ensemble le voyage à Eylau dix ans plus tard, pour le bicentenaire de la bataille. Tous avaient accepté, sa femme en soutien indéfectible, ses fils un peu goguenards, moquant les lubies de leur père. C’est ce voyage de 2007 à Eylau que raconte Jean-Paul Kauffmann dans ce livre érudit et passionnant, et c’est l’occasion pour lui de décortiquer la bataille d’Eylau, de tenter d’appréhender ce qui s’est joué sur le terrain des combats, de comprendre pourquoi les russes, deux cents ans plus tard, commémorent une défaite. Sur les champs de bataille, Jean-Paul Kauffmann retrouve également la trace fictive du colonel Chabert, le personnage créé par Balzac, laissé pour mort sur le terrain, sauvé in extremis, ne sachant plus qui il est et qui reviendra, des années plus tard à Paris pour découvrir que sa « veuve » s’est remariée et qu’il n’y a plus de place pour lui. Chabert, dont l’auteur se sent proche, lui qui, au retour de son enlèvement, n’a pas reconnu ses fils et a eu tant de mal à retrouver une place dans sa propre famille et dans son environnement, parce qu’il en avait été éloigné si longtemps.

C’est un livre magnifique, très vivant alors que le sujet peut sembler à priori ardu et impersonnel. Je n’aurais jamais cru qu’un tel sujet, une bataille napoléonienne, pourrait m’intéresser. Et pourtant, je l’ai trouvé passionnant, sans doute parce que l’auteur sait élargir son point de vue, s’y impliquer personnellement, y trouver des réponses aux questions qu’il se pose, à la fois sur les évènements historiques qui l’ont amené là, mais aussi sur les résonances par rapport à son propre parcours, à l’enfermement et l’éloignement dont il a été victime. Un travail illustré par de nombreux tableaux et dessins qui ont représenté la bataille d’Eylau, en particulier les tableaux d’Antoine-Jean Gros, que scrute sans relâche l’auteur à la recherche d’une vérité. Un livre à découvrir sans réserve !

mardi 12 juillet 2016

Les gens dans l'enveloppe

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Les gens dans l’enveloppe – Isabelle Monnin avec Alex Beaupain

Éditions JC Lattès (2015)

En 2012, Isabelle Monnin a acheté sur Internet un lot de 250 photos d’une même famille. L’enveloppe blanche est arrivée par le courrier, Isabelle les a regardées, elle a imaginé la vie de cette famille et en a construit un roman, donnant ainsi vie à Laurence, la petite fille sur son vélo, qui pose entre Simone (ou mamie Poulet comme elle l’appelle) et Raymond, ses grands-parents. Laurence vit seule avec Serge son père depuis que Michelle, la mère, est partie pour l’Argentine pour suivre son amant Horatio. Laurence passe ses vacances en famille tous les ans au même camping, où vient les rejoindre la tante Mimi, grande adepte de la course à pied. Laurence grandit, attendant en vain des nouvelles de sa mère et part pour l’Argentine, avec l’espoir de la retrouver. Elle écrit régulièrement à Simone, qui décline et qui décide de faire le ménage dans ses photos, éliminant les traces des évènements douloureux qui ont marqué sa vie. A la mort de Simone, Serge fait venir un brocanteur qui emporte le contenu de la maison, dont une boite de photos.
 

Parce qu’elle est romancière et journaliste, Isabelle Monnin a décidé d’inventer une histoire sur les personnages des photos et puis d’enquêter sur leur vie réelle. Elle s’est fixée des règles : attendre d’avoir terminé la fiction avant de démarrer son enquête et ne pas modifier l’intrigue du roman une fois l’enquête achevée. En mai 2013, elle commence à tenir son journal pour raconter cette enquête, qui constitue la deuxième partie de ce livre. Parce qu’elle sait que le lot de photos provient de Franche-Comté, dont elle est aussi originaire, et parce que par chance, elle a pu identifier relativement facilement le village grâce au clocher de l’église, elle arrive assez vite à ses fins, et peut mettre de vrais noms aux personnages qu’elle a inventés et reconstituer leur vie réelle. Alors que dans le roman, c’est la petite fille, Laurence, qui était le fil conducteur de l’histoire, ici c’est le personnage du père, qui s’appelle Michel, qui prend de l’importance.
 

En parallèle, Isabelle Monnin a montré les photos à son ami Alex Beaupain, qui a décidé de mettre en musique le roman d’Isabelle et de faire participer les Gens de l’enveloppe à l’élaboration à ce projet. Il y a donc dans ce livre un CD pour illustrer musicalement les deux volets de l’histoire.

C’est un travail très intéressant qui prend forme dans les deux parties de ce livre et dans les chansons du CD. L’expérience menée est émouvante. L’auteur noue avec les membres de la famille une relation où elle s’implique personnellement, ce qui lui permet de revisiter aussi des moments douloureux de sa propre vie. Le travail qu’elle réalise avec Alex Beaupain amènent les Gens de l’enveloppe, et surtout Michel, à reprendre la main sur sa propre histoire et à s’engager dans ce qui devient leur projet commun.

Une belle expérience !

Découvrez un extrait de ce livre sur le site de l'éditeur.




Lecture n°10 dans le cadre du challenge 1% Rentrée littéraire 2015.

lundi 4 juillet 2016

En attendant Bojangles

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En attendant Bojangles – Olivier Bourdeaut

Éditions Finitude (2016)

C’est une histoire d’amour et de folie, dont le narrateur est un enfant. Une histoire qu’il raconte avec ses mots et sa perception, son amour inconditionnel pour ses parents qui lui ont construit une vie merveilleuse et excentrique, rejetant toutes les contraintes pénibles d’une existence banale. Une vie de fêtes permanentes, de cocktails et de fantaisie, où il est recommandé de sauter sur les lits et les canapés, où les punitions seraient de devoir regarder la télévision pendant des heures ou d’avoir à ouvrir une montagne d’enveloppes jamais décachetées, au cas où on devrait être puni, ce qui n’arrive jamais. Une vie où la mère change de prénom tous les jours, où l’on vouvoie ceux que l’on chérit, où la meilleure compagne de jeux est une grue de Numidie et le meilleur ami un sénateur bedonnant. Une vie rythmée par une chanson de Nina Simone, Mister Bojangles, sur laquelle dansent sans fin les deux parents sous le regard ébloui de leur enfant.
Un jour, hélas, la folie n’est plus douce et les débordements de la mère deviennent dangereux. Ce sont alors les mots que le père a laissé à son fils qui permettront à celui-ci de comprendre ce qui s’est joué dans cette famille extravagante et de réaliser la force de l’amour que Georges vouait à sa femme.


C’est le billet de Sylire qui a été ma première découverte de ce livre. Ce qu’elle en disait, la couverture atypique de l’ouvrage aperçu dans la vitrine de mon libraire, et surtout l’évocation de la chanson de Nina Simone, tout cela a contribué à l'envie de le lire à mon tour. Ensuite, la déferlante qui a submergé les médias et les blogs à son propos m’a un peu refroidie - je me méfie des gros succès - et j'ai attendu de le trouver à la médiathèque.

C’est une lecture agréable et facile, on se laisse attendrir par la plume naïve du narrateur-enfant et on compatit à celle plus réaliste du père, qui rééquilibre le récit vis-à-vis de son aspect festif et fantasque. La vision de l’enfant est pleine de tendresse et d’amour, même s’il s’étonne parfois des réactions de sa mère et semble souvent plus raisonnable qu’elle. Très vite, il s’allie plus ou moins consciemment avec son père pour ériger des barrières autour de sa mère, afin de la protéger de l’impact de ses excès et de la désapprobation des autres. C’est ce volet de l’histoire que j’ai trouvé émouvant dans ce livre. J’ai bien aimé l’humour qui se dégage des réflexions de l’enfant face à des comportements qu’il ne comprend pas toujours. Mais il n’y a rien d’étonnant à cela, il suffit de se rappeler les questions et les observations de ses propres enfants dans la vie courante pour retrouver des situations similaires et des jeux de mots qui restent dans l’histoire familiale.

Il y a juste un passage m’a gênée au cours de cette lecture, c’est lorsque l’auteur décrit l’un des pensionnaires de l’hôpital où séjourne la mère, celui qui est surnommé Le Yaourt et qui se prend pour le président. L’auteur s’est peut-être fait plaisir en glissant cette caricature mais pour moi elle n’a pas sa place dans ce roman, peut-être parce qu’elle m’a reconnectée à la réalité et que c’est l’irréalité de ce roman que j’ai appréciée. En tous cas, Olivier Bourdeaut semble avoir des dons de voyance car son dernier paragraphe anticipe parfaitement le succès de son roman.

Extrait page 157 :
J’avais appelé son roman « En attendant Bojangles », parce qu’on l’attendait tout le temps, et je l’avais envoyé à un éditeur. Il m’avait répondu que c’était drôle et bien écrit, que ça n’avait ni queue, ni tête, et que c’était pour ça qu’il voulait l’éditer. Alors, le livre de mon père, avec ses mensonges à l’endroit à l’envers, avait rempli toutes les librairies de la terre entière. Les gens lisaient Bojangles sur la plage, dans leur lit, au bureau, dans le métro, tournaient les pages en sifflotant, ils le posaient sur leur table de nuit, ils dansaient et riaient avec nous, pleuraient avec Maman, mentaient avec Papa et moi, comme si mes parents étaient toujours vivants, c’étaient vraiment n’importe quoi, parce que la vie c’est souvent comme ça, et c’est très bien ainsi.
Succès mérité, le style est brillant et juste pour retranscrire la voix de l’enfant, l’histoire est légère puis plus sombre, comme la vie, finalement. De nombreuses critiques, au sujet de ce livre, évoquent L'écume des jours de Boris Vian. Personnellement ce livre m'a plutôt rappelé le film La vie est belle de Roberto Begnini, dans la tentative du père de garder son fils dans une certaine insouciance.

Une occasion de retrouver l'ambiance sonore de ce livre : la chanson  Mr Bojangles, interprétée par Nina Simone.

Cette chanson a été reprise par de nombreux artistes et j’ai trouvé cette version de Sammy Davis Jr, qui a beaucoup de charme, dans un autre style.



Si j’en crois Wikipedia, le créateur de la chanson est Jerry Jeff Walker. Ce n'est certainement pas lui qui a contribué le mieux à la mettre en valeur.




Plus récemment, il en a proposé une version plus country, très kitsch et nostalgique dans son genre !




Les avis ne manquent pas sur ce roman, par exemple chez Keisha, Leiloona, Miss Alfie, Nicole, Dasola et sur Babelio.

jeudi 30 juin 2016

Recherche femme parfaite

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Recherche femme parfaite – Anne Berest

Grasset (2015)

Émilienne, la trentaine, est photographe, c’est une enfant de la balle, ses parents étaient artistes. Elle a participé à un de leurs spectacles, alors qu’elle était toute petite, enfermée dans une valise qui se mettait à courir toute seule. Pour assurer ses fins de mois, Émilienne est photographe de mariage mais elle espère toujours être reconnue pour son œuvre photographique, qu’elle envisage comme le témoin « d’un état d’attente, un entre-deux », comme la création « d’une forme de suspense ». Elle s’est inscrite à un concours dans le cadre des Rencontres d’Arles, autour du thème « Portrait(s) de femme(s) » et n’a encore rien rendu, alors que la clôture a lieu deux semaines plus tard. C’est le burn-out de sa voisine Julie qui va lui donner l’idée directrice de son projet, qu’elle va intituler « Une femme parfaite ».

Extrait page 37-38
Je prendrais en photographie des femmes admirables, des héroïnes du quotidien, des modèles pour leur entourage. Et à travers ces différents portraits, se dessinerait l’idée que la femme aujourd’hui veut donner d’elle-même – le portrait d’une femme idéale. Mais j’en chercherais aussi la faille, la fragilité, le point de rupture. Je guetterais les signes de folie dans cette impossible quête de la perfection. En quinze jours, je m’en sentais capable – le plus important, c’est un bon sujet, après, tout peut arriver. Pour commencer, il fallait trouver des modèles. Je ne pouvais pas passer une annonce dans le journal : « Recherche femme parfaite pour projet photographique. » En croisant Thierry dans l’escalier, j’eus l’idée de lui demander qui, selon lui, incarnait l’idéal féminin aux yeux de sa femme.
-    Julie Andrieu, me répondit-il du tac au tac. Elle en est complètement obsédée.
Thierry m’expliqua que c’était une présentatrice de télévision spécialisée dans les reportages gastronomiques. Malheureusement, lui dis-je, ce serait plus facile pour moi d’aborder des femmes qui n’étaient pas célèbres.
-    Alors appelle Marie Wagner, me dit Thierry, elle est médecin. Son mari est mort il y a deux ans, il était pasteur. Julie dit toujours : « Cette femme, c’est une sainte. » 

La visite chez Marie Wagner se révèle quelque peu décevante pour Émilienne, et ne donne même pas lieu à une séance photo. Sur l’autoroute du retour, elle rencontre une jeune skateboardeuse, Alizée, à qui elle raconte l’importance de la photographe Francesca Woodman dans son propre parcours. Puis, lors d’une halte au bar d’un grand hôtel, elle fait la connaissance de Georgia, une femme qui l’envoûte et qui disparait au matin. Émilienne veut à tout prix la revoir et ira jusqu’à Venise pour tenter de la retrouver. Dans cette quête, Émilienne va avoir l’occasion de rencontrer d’autres femmes et pourra mener à bien, contre toute attente, son projet photographique.

C’est une aventure fantasque que nous raconte Anne Berest dans ce nouveau livre. Une quête dont l’objet fluctue au gré des rencontres que fait Émilienne, passant de la recherche de la femme parfaite à la recherche de l’amour, même imparfait. Ce sont de multiples aspects de la condition féminine qui s’expriment à travers des péripéties tantôt burlesques, tantôt désespérées, et aussi les différentes facettes que peut prendre l’amour, avec ses excès, ses limites et les sacrifices qu’il impose. Un livre bien différent des deux précédents d‘Anne Berest que j’ai déjà lus, un livre léger, au premier abord, qui se lit avec plaisir et qui évoque des thèmes plus sérieux, comme l’image de la femme, la tyrannie de la réussite, la soumission aux codes. 

Grâce à ce livre, j’ai découvert le film Der Lauf der Dinge, ainsi que le travail de deux photographes, Francesca Woodman et Julia Margaret Cameron, dont il est question à travers ces pages. 

La fondation Henri Cartier-Bresson présente jusqu’au 31 juillet 2016 une exposition des photos de Francesca Woodman.

L'avis de L'irrégulière.




Lecture n°9 dans le cadre du challenge 1% Rentrée littéraire 2015.

dimanche 26 juin 2016

Eugène Boudin la magie de l'air et de l'eau

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Eugène Boudin la magie de l’air et de l’eau – Anne-Marie Bergeret-Gourbin et Laurent Manœuvre

Éditions À Propos (2016)

Ce très joli livre, que j’avais pu voir dans la vitrine de ma librairie de quartier, était proposé dans la sélection de l’opération Masse Critique de Babelio. J’avais tout de suite été séduite par sa couverture, qui propose une vue partielle du tableau de Boudin, « Plage de Deauville à marée basse ».

En une soixantaine de pages, les auteurs présentent la vie et l’œuvre de l’artiste, alternant les repères chronologiques et les analyses des œuvres marquantes, décrivant le contexte historique, culturel et social de l’époque. Ensuite, ils choisissent d’approfondir un thème spécifique à l’artiste, ici « De l’esquisse au tableau de Salon », qui apporte un éclairage passionnant sur le travail de l’artiste, puis ils terminent par une bibliographie autour du peintre et de son époque et une présentation rapide des endroits où l’on peut voir ses tableaux.

Bien qu’ayant participé à la première exposition des Impressionnistes, Boudin ne s’est jamais revendiqué de ce mouvement. Néanmoins, c’est lui qui a convaincu Claude Monet de l’importance de la peinture en extérieur, sur le motif. Peintre de l’estuaire de la Seine, de ses paysages et de ses métiers, puis adepte des scènes de plage qui deviennent un style à la mode, l’artiste s’est aussi spécialisé dans les marines, même s’il n’a jamais été officiellement consacré comme « peintre de la Marine ». Ses voyages l’ont mené en Belgique, aux Pays-Bas, en Bretagne et plus tard à Venise et en Toscane. Ses œuvres ont inspiré les artistes qui lui ont succédé, comme Matisse et les Fauves. Claude Monet a affirmé avec force qu’il devait tout à Eugène Boudin.

J’avais l’impression de connaitre la peinture d’Eugène Boudin mais ce livre m’en a appris davantage sur son œuvre et sur son désir d’indépendance, qu’il a gardé toute sa vie, résistant autant que possible aux pressions des marchands qui voulaient le contraindre à suivre le goût des acheteurs et les dictats de la mode.

Merci à Babelio et aux éditions À Propos pour l’envoi gracieux de ce livre. D’autres ouvrages dans la même collection présentent d’autres artistes, tels que Bonnard, Yves Klein, Rembrandt ou Donatello, pour n’en citer que quelques-uns, et cela pour un coût à la portée de tous. Parfait pour la première découverte d’un artiste.

dimanche 19 juin 2016

La femme sur l'escalier

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La femme sur l’escalier – Bernhard Schlink

Gallimard – collection Du monde entier (2016)
Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary.


Je ne me plains pas d’être vieux. Je n’envie pas la jeunesse d’avoir encore la vie devant elle ; je ne veux pas l’avoir encore une fois devant moi. Mais j’envie la jeunesse d’avoir derrière elle un passé qui est bref. Quand nous sommes jeunes, nous embrassons notre passé d’un regard. Nous pouvons lui donner un sens, même si c’est sans cesse un autre sens. Si maintenant je me retourne sur mon passé, je ne sais pas ce qui fut pesant et ce qui fut gratifiant, j’ignore si le succès valait la peine et, dans mes rencontres avec les femmes, j’ignore ce qui fut abouti et ce qui me fut refusé. (page 61)

Le narrateur est un grand avocat allemand, la soixantaine, venu à Sydney pour négocier un contrat. Il profite d’une journée de repos avant de repartir pour l’Allemagne et visite le jardin botanique et l’Art Gallery. Là, il tombe en arrêt devant un tableau qu’il connait, dont il a connu le peintre, Karl Schwind, l’acheteur, Peter Gundlach, et même la femme qui a servi de modèle. Tout jeune avocat, il était intervenu à la demande du peintre, afin de régler un différend entre lui-même et le propriétaire du tableau et était tombé amoureux du modèle, Irène. À ce qui devait devenir sa grande honte, il avait accepté de négocier un marché entre les deux hommes, monnayant le tableau contre la jeune femme. L’affaire avait capoté, Irène et le tableau avait disparu et il n’en avait plus jamais entendu parlé.
L’avocat décide de prolonger son séjour en Australie, bien décidé à retrouver Irène, qu’il n’a jamais oubliée et pour apaiser les remords qui le poursuivent depuis.

Je m’avançai lentement vers le tableau. J’étais gêné, là aussi, comme la première fois. À l’époque, ç’avait été de voir s’avancer vers moi, nue, la femme qui, la veille encore, était assise dans mon bureau avec un jean, un haut et une veste. À présent j’étais gêné parce que le tableau me rappelait ce qui s’était passé à l’époque, ce dans quoi je m’étais laissé entraîner, et que je m’étais empressé de chasser de ma mémoire. (page 12)
C’est une histoire rocambolesque que raconte Bernhard Schlink mais il ne s’attarde pas sur les péripéties que traversent Irène et le tableau. Ce qui compte, ce sont les sentiments entre ces trois hommes et cette femme. Tous trois, ils l’ont aimée, tous trois elle les a fuis et elle ne va en choisir qu’un pour l’accompagner dans les jours qui lui restent, utilisant le tableau et l’attrait qu’il exerce pour les réunir tous une dernière fois.

Aux côtés d’Irène, le narrateur redevient le jeune homme qu’il a été, comme si toutes ces années n’avaient pas existé, comme s’il les avait vécues entre parenthèses. Alors que Gundlach semble savoir ce qu’Irène a fait entre sa fuite et son exil en Australie, l’avocat ne cherche pas à connaître les détails de ce qui semble être un lourd passé. Avec Irène, il choisit de réinventer ce qui aurait pu être leur histoire, s’ils avaient fui ensemble, se reconstruisant des souvenirs fictifs apaisants pour tous deux.

Il est question d’amour, d’art, de la complexité qui entoure les œuvres d’art, de ce que ces œuvres représentent pour ceux qui gravitent autour. L’argent et le pouvoir qu’il apporte y tiennent aussi leur place, pas la plus brillante ni la plus durable. Irène l’avait pressenti, se choisissant un destin désintéressé dans son exil australien.

C’est une histoire singulière, pas du tout celle à laquelle je m’attendais après la lecture de la quatrième de couverture. Mais aucune déception, en ce qui me concerne, juste une frustration vis-à-vis du passé trouble d’Irène en RDA qui n’est qu’effleuré. Mais ce n’était sans doute pas le propos de Schlink de s’étendre sur ces événements, le livre en aurait été différent.

Les avis de Kathel et de Jostein.

dimanche 12 juin 2016

Mariages de saison

Mariages de saison – Jean-Philippe Blondel

Buchet Chastel (2016)

Été 2013 : Corentin, comme tous les ans, seconde son parrain, Yvan, comme vidéaste de mariage, pendant les mois où les cérémonies se multiplient. À vingt-sept ans, Corentin n’est pas encore très installé dans la vie, que ce soit sur le plan professionnel ou sur le plan sentimental. Jusqu’à présent, il s’est laissé vivre, n’a pas retenu les petites amies qui l’ont quitté, parfois après quelques mois de vie commune. Les expériences qu’il va vivre cet été, au travers de cinq mariages, vont marquer un tournant dans sa vie et l’amener à enfin décider du cours de son existence.
C’est l’initiative d’une des mariées, Aline, qui va être l’élément déclencheur de cette prise de conscience. Lors de son mariage, elle demande à Corentin de filmer en privé la déclaration d’amour qu’elle adresse à son nouveau mari. La teneur du message vidéo et l’expression des sentiments de la jeune femme amènent Célestin à renouveler l’expérience auprès de ses proches et à leur demander de s’exprimer devant sa caméra. Son ami Alexandre est le premier à jouer le jeu, puis ce sont ses parents, son parrain, une ancienne petite amie mariée et prête à accoucher, qui s’y prêtent. À travers leurs déclarations, Corentin découvre des secrets, comprend comment il est perçu par ses proches, voit les failles dans l’existence de chacun et perçoit aussi leurs forces, ce qui les aide à vivre et ce qui lui manque pour avancer dans sa propre vie. Il décide alors de répondre à chacun, toujours en vidéo.


Beaucoup d’émotion dans ce nouveau roman de Jean-Philippe Blondel que j’ai lu presque d’une traite. On parle souvent de la petite musique de Modiano, mais Blondel a également la sienne, que je retrouve au fil de ses romans. Ici, il exprime d’une façon touchante les incertitudes que l’on peut ressentir à diverses étapes de la vie, et qui n’empêchent pas malgré tout de vivre, de prendre des décisions ou de se laisser porter. Et il n’est jamais trop tard pour reprendre la main, pour bifurquer et s’engager sur un autre chemin. Tout cela sans heurts, raconté dans une langue fluide et agréable, avec humour et simplicité. Un vrai bonheur de lecture.

Un extrait (pages 55-56)
22 heures. Yvan et Corentin sont assis à une table de huit. Pendant le repas, ils filment peu – quelques plans de coupe, quelques zooms sur des personnes qui rient ou qui dansent, ce sera suffisant pour les vingt minutes qui resteront à la fin. L’enchaînement des scènes est toujours le même – la coiffure, l’habillage du marié, la mairie, l’échange des alliances, la photo de groupe (animée désormais), l’extérieur de l’église, le vin d’honneur et quelques secondes sur la suite des événements. Le tout emballé dans une musique sentimentale – Coldplay par exemple, une référence incontournable ces derniers temps – et des chansons anglaises qui parlent souvent d’amours contrariées, de tromperies et de déprime. Corentin se demande parfois ce que choisissent les Anglo-Saxons pour illustrer leurs propres mariages – il pourrait aller vérifier sur Internet mais n’en a pas le courage. Le repas de ce soir est aussi bon et aussi insipide que les précédents – il n’y a d’ailleurs qu’un nombre réduit de traiteurs dans le département, de même qu’il n’y a qu’un nombre réduit de vidéastes. (…)

lundi 30 mai 2016

Il faut tenter de vivre

Il faut tenter de vivre - Éric Faye

Édité chez Stock (2015)

Le narrateur, l’auteur lui-même, avait déjà entendu parler de Sandrine Broussard avant de la rencontrer lors d’une soirée. Il connaissait déjà beaucoup de choses sur elle, sur les arnaques aux petites annonces qu’elle organisait avec Julien, son compagnon du moment. Il savait qu’elle avait été en prison, qu’elle ne voulait plus y retourner. C’est pour cela que lorsque ça avait commencé à sentir le roussi, elle s’était exilée en Belgique, pour y vivre sous un autre nom, y attendre suffisamment longtemps que les faits délictueux soient prescrits.

Sandrine devait se tenir à carreau pendant cinq ans, après quoi elle pourrait réapparaître au grand jour sous sa véritable identité, avait certifié l’avocat. Le souvenir des six mois qu’elle avait passés en prison l’horrifiait. Plutôt mourir que d’y retourner. Elle ne voulait plus que de mauvaises rencontres l’attirent vers le fond. Dans ses cauchemars s’invitaient toujours, des années après, les femmes côtoyées à la prison de Loos. Ce monde-là existait, et le savoir accablait Sandrine. Avec ses arnaques sans grandes conséquences, sans violence, qu’avait-elle de commun avec la femme qui avait fait avaler du Destop à un retraité ? Avec celle qui avait tué son amant puis poussé le cadavre sous son lit, dans lequel elle avait dormi ensuite huit nuits avant d’être arrêtée ? Avec celle qui, un jour, avait posé ses bébés sur le feu ? (pages 91-92)
Pépito, comme le surnomme Sandrine lorsqu’ils se rencontrent, nous raconte la vie de la jeune femme, mais pas seulement cela. Il exprime aussi la fascination qu’elle exerce sur lui, parce qu’elle représente tout ce qu’il n’est pas, tout ce qu’il n’ose pas être. 

J’ai découvert Eric Faye avec Nagasaki, un roman que j’avais beaucoup aimé.
Ici, aussi, j’ai apprécié l’histoire où il nous emmène, inspirée d’une femme qu’il a réellement connue. Il l’évoque d’une façon très délicate, cette femme blessée par une enfance difficile, qui peine à trouver sa place dans la société, qui croit toujours avoir trouvé le filon qui lui permettra de gagner de l’argent facilement, au dépend des autres. Mais les choses ne tournent pas souvent en sa faveur et Sandrine est obligée de se cacher, d’abord sous des identités autres puis elle doit fuir pour préserver sa liberté. Eric Faye raconte l’exil avec pudeur, sans pathos et arrive à rendre son héroïne touchante, malgré ses dérives.

L'avis de Lili Galipette.

À visionner pour en savoir un peu plus sur ce roman et son auteur : ici et .

Écoutez la lecture d'un extrait par Alexandra Lemasson dans Des Mots de Minuit et par Éric Faye lui même sur France-Culture, dans l'émission Les Bonnes Feuilles.







Lecture n°8 pour le  challenge 1% Rentrée littéraire 2015.

jeudi 26 mai 2016

Journal d'un vampire en pyjama

Journal d’un vampire en pyjama – Mathias Malzieu

Albin Michel (2016)

Fin 2013, alors qu’il prépare la sortie de son film Jack et la mécanique du cœur, d’après son propre livre, Mathias Malzieu se sent extrêmement fatigué. Des saignements de nez, des maux de tête, des douleurs musculaires, des essoufflements, une pâleur digne de Dracula le conduisent à consulter. Les résultats de la prise de sang sont sans ambiguïté : pas assez de globules rouges, globules blancs en nombre insuffisant et taux de plaquettes trop faible. La moelle osseuse n’assume plus son rôle dans la production des cellules sanguines. Une ponction vient préciser le diagnostic. Mathias souffre d’aplasie médullaire, une maladie rare du sang, auto-immune, qui ne peut se guérir que par une greffe de moelle osseuse.
En attendant de trouver le sujet compatible pour la greffe, Mathias commence alors la ronde des transfusions sanguines, d’où l’idée du vampire. Puis des traitements sont tentés, tous commençant par une destruction de sa propre moelle osseuse et le laissant dans un état de vulnérabilité aux infections qui nécessite un séjour en chambre stérile.


Ce sont ces mois de maladie, d’isolement et d’espoir que Mathias Malzieu raconte dans ce journal. Une année où il doit se battre contre la maladie et les effets secondaires des traitements ; une année où il doit faire appel à toute son imagination et à sa veine poétique pour supporter un quotidien de malade, où il doit renoncer à ses activités préférées ; une année à ne pas laisser Dame Oclès et son épée prendre le dessus ; une année où il mène à bien malgré tout quelques projets afin d’entretenir l’espoir.

J’ai beaucoup apprécié ce livre de Mathias Malzieu, que je ne connaissais pas auparavant, ni en tant qu’auteur, ni en tant que chanteur et musicien. J’ai donc découvert son univers poétique et fantasque dans ce journal plein de vie malgré le thème si lourd.
Personne ne sait que je suis un vampire. Pas de transformation en chauve-souris pour l’instant. J’apparais toujours dans les miroirs. Avec une gueule de fantôme à bonnet de laine, mais je suis toujours là. La vue d’un crucifix ne me fait pas partir en courant – peut-être parce que je suis très vite essoufflé. Je ne fais pas de trucs bizarres en accéléré comme dans certains films. Pourtant je suis un vrai vampire : je dois me procurer du sang pour rester en vie. Et j’ai une dégaine de flocon de neige.
Puisque je suis prisonnier de mon propre corps, je dois plus que jamais apprendre à m’évader par la pensée. Organiser ma résistance en mobilisant les ressources de l’imagination. Je vais travailler dur au rêve de m’en sortir. Il me faudra une volonté en fer forgé. Un truc de marathonien. Foulée après foulée. Rythme et constance. Trouver l’équilibre entre la rigueur d’un moine et la fantaisie créative. Apprendre à faire le con poétiquement dans le cadre austère du couvre-feu que je dois respecter. Doser l’espoir au jour le jour. Transformer l’obscurité en ciel étoilé. Décrocher la lune tous les matins et aller la remettre en place avant la tombée de la nuit.
Un vrai boulot de néo-vampire. (page 38-39) 
Un autre avis favorable chez Un autre endroit pour lire.

Quelques compléments autour de ce livre sur le site de l'éditeur et sur le site consacré au livre.

lundi 23 mai 2016

Vie et mort de Sophie Stark

Vie et mort de Sophie Stark – Anna North

Autrement (2015)
Traduit de l’anglais par Jean Esch.


Aucune ambiguïté sur le sujet de ce roman : c’est bien de la vie et de la mort de Sophie Stark dont il est question, racontées par ceux qui ont connu la jeune femme, cinéaste indépendante : Allison, qu’elle a fait jouer dans ses films et avec qui elle a vécu une histoire d’amour ; Robbie, son frère, grâce auquel on en sait un peu plus sur l’enfance de Sophie ; Jacob, un musicien qu’elle a rencontré lors du tournage d’un clip et qui est devenu son mari ; Daniel, un joueur de basket qui était la coqueluche de toutes les filles de la fac à l’époque où Sophie y étudiait et sur lequel elle a réalisé un documentaire ; George, le producteur de cinéma un peu has-been qui espère relancer sa carrière grâce au nouveau film de Sophie ; Ben Martin, critique de cinéma, qui a suivi le travail de Sophie depuis qu’il a découvert son premier film de fiction, celui où jouait Allison.
Grâce à leurs témoignages et aux articles de Ben, le lecteur découvre petit à petit Sophie, du moins croit la découvrir, car Sophie, artiste tourmentée, fragile, asociale et exigeante, a une personnalité multiple et personne, parmi ses proches, ne peut se vanter de la connaitre entièrement. D’ailleurs, Sophie ne fait rien pour qu’on l’aime, ce n’est pas son souci. La seule chose qui lui importe, ce sont ses films, c’est par eux qu’elle communique, c’est par eux qu’elle se dévoile un peu.

Ce qui est intéressant dans ce livre, ce n’est pas forcément Sophie, femme souvent froide et manipulatrice, mais ce sont les autres, ceux qui parlent d’elle, car eux sont sincères, ils parlent avec leur cœur, tous conscients de ne pas l’avoir comprise et de lui devoir beaucoup dans leur découverte d’eux-mêmes. Sophie restera à jamais leur blessure.

Je ne dirais pas de ce livre qu'il a été un coup de cœur, sans doute à cause du personnage de Sophie, pour laquelle je n’ai pas ressenti d’empathie, et qui jusqu’au bout, reste une énigme. En revanche, j’ai bien aimé la construction du roman, ces voix croisées qui donnent chacune à voir Sophie sous un aspect différent. J’y ai trouvé également un témoignage captivant sur la difficulté de créer pour un artiste, et ça m’a rappelé le roman de Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais. Les propos de George au sujet des méandres de la production cinématographique sont aussi savoureux et méritent le détour.
Et surtout, lisez le petit mot du traducteur en fin de volume. Il explique comment il a relevé le challenge que posait la traduction de ce roman choral.




En résumé, une lecture à ne pas manquer, qui me permet de poursuivre mon challenge 1% Rentrée littéraire 2015 (lecture n° 7).







D'auvres avis sur ce roman chez Eirenamg, Eva et sur Babelio.