jeudi 30 juin 2016

Recherche femme parfaite

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Recherche femme parfaite – Anne Berest

Grasset (2015)

Émilienne, la trentaine, est photographe, c’est une enfant de la balle, ses parents étaient artistes. Elle a participé à un de leurs spectacles, alors qu’elle était toute petite, enfermée dans une valise qui se mettait à courir toute seule. Pour assurer ses fins de mois, Émilienne est photographe de mariage mais elle espère toujours être reconnue pour son œuvre photographique, qu’elle envisage comme le témoin « d’un état d’attente, un entre-deux », comme la création « d’une forme de suspense ». Elle s’est inscrite à un concours dans le cadre des Rencontres d’Arles, autour du thème « Portrait(s) de femme(s) » et n’a encore rien rendu, alors que la clôture a lieu deux semaines plus tard. C’est le burn-out de sa voisine Julie qui va lui donner l’idée directrice de son projet, qu’elle va intituler « Une femme parfaite ».

Extrait page 37-38
Je prendrais en photographie des femmes admirables, des héroïnes du quotidien, des modèles pour leur entourage. Et à travers ces différents portraits, se dessinerait l’idée que la femme aujourd’hui veut donner d’elle-même – le portrait d’une femme idéale. Mais j’en chercherais aussi la faille, la fragilité, le point de rupture. Je guetterais les signes de folie dans cette impossible quête de la perfection. En quinze jours, je m’en sentais capable – le plus important, c’est un bon sujet, après, tout peut arriver. Pour commencer, il fallait trouver des modèles. Je ne pouvais pas passer une annonce dans le journal : « Recherche femme parfaite pour projet photographique. » En croisant Thierry dans l’escalier, j’eus l’idée de lui demander qui, selon lui, incarnait l’idéal féminin aux yeux de sa femme.
-    Julie Andrieu, me répondit-il du tac au tac. Elle en est complètement obsédée.
Thierry m’expliqua que c’était une présentatrice de télévision spécialisée dans les reportages gastronomiques. Malheureusement, lui dis-je, ce serait plus facile pour moi d’aborder des femmes qui n’étaient pas célèbres.
-    Alors appelle Marie Wagner, me dit Thierry, elle est médecin. Son mari est mort il y a deux ans, il était pasteur. Julie dit toujours : « Cette femme, c’est une sainte. » 

La visite chez Marie Wagner se révèle quelque peu décevante pour Émilienne, et ne donne même pas lieu à une séance photo. Sur l’autoroute du retour, elle rencontre une jeune skateboardeuse, Alizée, à qui elle raconte l’importance de la photographe Francesca Woodman dans son propre parcours. Puis, lors d’une halte au bar d’un grand hôtel, elle fait la connaissance de Georgia, une femme qui l’envoûte et qui disparait au matin. Émilienne veut à tout prix la revoir et ira jusqu’à Venise pour tenter de la retrouver. Dans cette quête, Émilienne va avoir l’occasion de rencontrer d’autres femmes et pourra mener à bien, contre toute attente, son projet photographique.

C’est une aventure fantasque que nous raconte Anne Berest dans ce nouveau livre. Une quête dont l’objet fluctue au gré des rencontres que fait Émilienne, passant de la recherche de la femme parfaite à la recherche de l’amour, même imparfait. Ce sont de multiples aspects de la condition féminine qui s’expriment à travers des péripéties tantôt burlesques, tantôt désespérées, et aussi les différentes facettes que peut prendre l’amour, avec ses excès, ses limites et les sacrifices qu’il impose. Un livre bien différent des deux précédents d‘Anne Berest que j’ai déjà lus, un livre léger, au premier abord, qui se lit avec plaisir et qui évoque des thèmes plus sérieux, comme l’image de la femme, la tyrannie de la réussite, la soumission aux codes. 

Grâce à ce livre, j’ai découvert le film Der Lauf der Dinge, ainsi que le travail de deux photographes, Francesca Woodman et Julia Margaret Cameron, dont il est question à travers ces pages. 

La fondation Henri Cartier-Bresson présente jusqu’au 31 juillet 2016 une exposition des photos de Francesca Woodman.

L'avis de L'irrégulière.




Lecture n°9 dans le cadre du challenge 1% Rentrée littéraire 2015.

dimanche 26 juin 2016

Eugène Boudin la magie de l'air et de l'eau

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Eugène Boudin la magie de l’air et de l’eau – Anne-Marie Bergeret-Gourbin et Laurent Manœuvre

Éditions À Propos (2016)

Ce très joli livre, que j’avais pu voir dans la vitrine de ma librairie de quartier, était proposé dans la sélection de l’opération Masse Critique de Babelio. J’avais tout de suite été séduite par sa couverture, qui propose une vue partielle du tableau de Boudin, « Plage de Deauville à marée basse ».

En une soixantaine de pages, les auteurs présentent la vie et l’œuvre de l’artiste, alternant les repères chronologiques et les analyses des œuvres marquantes, décrivant le contexte historique, culturel et social de l’époque. Ensuite, ils choisissent d’approfondir un thème spécifique à l’artiste, ici « De l’esquisse au tableau de Salon », qui apporte un éclairage passionnant sur le travail de l’artiste, puis ils terminent par une bibliographie autour du peintre et de son époque et une présentation rapide des endroits où l’on peut voir ses tableaux.

Bien qu’ayant participé à la première exposition des Impressionnistes, Boudin ne s’est jamais revendiqué de ce mouvement. Néanmoins, c’est lui qui a convaincu Claude Monet de l’importance de la peinture en extérieur, sur le motif. Peintre de l’estuaire de la Seine, de ses paysages et de ses métiers, puis adepte des scènes de plage qui deviennent un style à la mode, l’artiste s’est aussi spécialisé dans les marines, même s’il n’a jamais été officiellement consacré comme « peintre de la Marine ». Ses voyages l’ont mené en Belgique, aux Pays-Bas, en Bretagne et plus tard à Venise et en Toscane. Ses œuvres ont inspiré les artistes qui lui ont succédé, comme Matisse et les Fauves. Claude Monet a affirmé avec force qu’il devait tout à Eugène Boudin.

J’avais l’impression de connaitre la peinture d’Eugène Boudin mais ce livre m’en a appris davantage sur son œuvre et sur son désir d’indépendance, qu’il a gardé toute sa vie, résistant autant que possible aux pressions des marchands qui voulaient le contraindre à suivre le goût des acheteurs et les dictats de la mode.

Merci à Babelio et aux éditions À Propos pour l’envoi gracieux de ce livre. D’autres ouvrages dans la même collection présentent d’autres artistes, tels que Bonnard, Yves Klein, Rembrandt ou Donatello, pour n’en citer que quelques-uns, et cela pour un coût à la portée de tous. Parfait pour la première découverte d’un artiste.

dimanche 19 juin 2016

La femme sur l'escalier

La-femme-sur-l-escalier-Bernhard-Schlink-Rue-de-Siam

La femme sur l’escalier – Bernhard Schlink

Gallimard – collection Du monde entier (2016)
Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary.


Je ne me plains pas d’être vieux. Je n’envie pas la jeunesse d’avoir encore la vie devant elle ; je ne veux pas l’avoir encore une fois devant moi. Mais j’envie la jeunesse d’avoir derrière elle un passé qui est bref. Quand nous sommes jeunes, nous embrassons notre passé d’un regard. Nous pouvons lui donner un sens, même si c’est sans cesse un autre sens. Si maintenant je me retourne sur mon passé, je ne sais pas ce qui fut pesant et ce qui fut gratifiant, j’ignore si le succès valait la peine et, dans mes rencontres avec les femmes, j’ignore ce qui fut abouti et ce qui me fut refusé. (page 61)

Le narrateur est un grand avocat allemand, la soixantaine, venu à Sydney pour négocier un contrat. Il profite d’une journée de repos avant de repartir pour l’Allemagne et visite le jardin botanique et l’Art Gallery. Là, il tombe en arrêt devant un tableau qu’il connait, dont il a connu le peintre, Karl Schwind, l’acheteur, Peter Gundlach, et même la femme qui a servi de modèle. Tout jeune avocat, il était intervenu à la demande du peintre, afin de régler un différend entre lui-même et le propriétaire du tableau et était tombé amoureux du modèle, Irène. À ce qui devait devenir sa grande honte, il avait accepté de négocier un marché entre les deux hommes, monnayant le tableau contre la jeune femme. L’affaire avait capoté, Irène et le tableau avait disparu et il n’en avait plus jamais entendu parlé.
L’avocat décide de prolonger son séjour en Australie, bien décidé à retrouver Irène, qu’il n’a jamais oubliée et pour apaiser les remords qui le poursuivent depuis.

Je m’avançai lentement vers le tableau. J’étais gêné, là aussi, comme la première fois. À l’époque, ç’avait été de voir s’avancer vers moi, nue, la femme qui, la veille encore, était assise dans mon bureau avec un jean, un haut et une veste. À présent j’étais gêné parce que le tableau me rappelait ce qui s’était passé à l’époque, ce dans quoi je m’étais laissé entraîner, et que je m’étais empressé de chasser de ma mémoire. (page 12)
C’est une histoire rocambolesque que raconte Bernhard Schlink mais il ne s’attarde pas sur les péripéties que traversent Irène et le tableau. Ce qui compte, ce sont les sentiments entre ces trois hommes et cette femme. Tous trois, ils l’ont aimée, tous trois elle les a fuis et elle ne va en choisir qu’un pour l’accompagner dans les jours qui lui restent, utilisant le tableau et l’attrait qu’il exerce pour les réunir tous une dernière fois.

Aux côtés d’Irène, le narrateur redevient le jeune homme qu’il a été, comme si toutes ces années n’avaient pas existé, comme s’il les avait vécues entre parenthèses. Alors que Gundlach semble savoir ce qu’Irène a fait entre sa fuite et son exil en Australie, l’avocat ne cherche pas à connaître les détails de ce qui semble être un lourd passé. Avec Irène, il choisit de réinventer ce qui aurait pu être leur histoire, s’ils avaient fui ensemble, se reconstruisant des souvenirs fictifs apaisants pour tous deux.

Il est question d’amour, d’art, de la complexité qui entoure les œuvres d’art, de ce que ces œuvres représentent pour ceux qui gravitent autour. L’argent et le pouvoir qu’il apporte y tiennent aussi leur place, pas la plus brillante ni la plus durable. Irène l’avait pressenti, se choisissant un destin désintéressé dans son exil australien.

C’est une histoire singulière, pas du tout celle à laquelle je m’attendais après la lecture de la quatrième de couverture. Mais aucune déception, en ce qui me concerne, juste une frustration vis-à-vis du passé trouble d’Irène en RDA qui n’est qu’effleuré. Mais ce n’était sans doute pas le propos de Schlink de s’étendre sur ces événements, le livre en aurait été différent.

Les avis de Kathel et de Jostein.

dimanche 12 juin 2016

Mariages de saison

Mariages de saison – Jean-Philippe Blondel

Buchet Chastel (2016)

Été 2013 : Corentin, comme tous les ans, seconde son parrain, Yvan, comme vidéaste de mariage, pendant les mois où les cérémonies se multiplient. À vingt-sept ans, Corentin n’est pas encore très installé dans la vie, que ce soit sur le plan professionnel ou sur le plan sentimental. Jusqu’à présent, il s’est laissé vivre, n’a pas retenu les petites amies qui l’ont quitté, parfois après quelques mois de vie commune. Les expériences qu’il va vivre cet été, au travers de cinq mariages, vont marquer un tournant dans sa vie et l’amener à enfin décider du cours de son existence.
C’est l’initiative d’une des mariées, Aline, qui va être l’élément déclencheur de cette prise de conscience. Lors de son mariage, elle demande à Corentin de filmer en privé la déclaration d’amour qu’elle adresse à son nouveau mari. La teneur du message vidéo et l’expression des sentiments de la jeune femme amènent Célestin à renouveler l’expérience auprès de ses proches et à leur demander de s’exprimer devant sa caméra. Son ami Alexandre est le premier à jouer le jeu, puis ce sont ses parents, son parrain, une ancienne petite amie mariée et prête à accoucher, qui s’y prêtent. À travers leurs déclarations, Corentin découvre des secrets, comprend comment il est perçu par ses proches, voit les failles dans l’existence de chacun et perçoit aussi leurs forces, ce qui les aide à vivre et ce qui lui manque pour avancer dans sa propre vie. Il décide alors de répondre à chacun, toujours en vidéo.


Beaucoup d’émotion dans ce nouveau roman de Jean-Philippe Blondel que j’ai lu presque d’une traite. On parle souvent de la petite musique de Modiano, mais Blondel a également la sienne, que je retrouve au fil de ses romans. Ici, il exprime d’une façon touchante les incertitudes que l’on peut ressentir à diverses étapes de la vie, et qui n’empêchent pas malgré tout de vivre, de prendre des décisions ou de se laisser porter. Et il n’est jamais trop tard pour reprendre la main, pour bifurquer et s’engager sur un autre chemin. Tout cela sans heurts, raconté dans une langue fluide et agréable, avec humour et simplicité. Un vrai bonheur de lecture.

Un extrait (pages 55-56)
22 heures. Yvan et Corentin sont assis à une table de huit. Pendant le repas, ils filment peu – quelques plans de coupe, quelques zooms sur des personnes qui rient ou qui dansent, ce sera suffisant pour les vingt minutes qui resteront à la fin. L’enchaînement des scènes est toujours le même – la coiffure, l’habillage du marié, la mairie, l’échange des alliances, la photo de groupe (animée désormais), l’extérieur de l’église, le vin d’honneur et quelques secondes sur la suite des événements. Le tout emballé dans une musique sentimentale – Coldplay par exemple, une référence incontournable ces derniers temps – et des chansons anglaises qui parlent souvent d’amours contrariées, de tromperies et de déprime. Corentin se demande parfois ce que choisissent les Anglo-Saxons pour illustrer leurs propres mariages – il pourrait aller vérifier sur Internet mais n’en a pas le courage. Le repas de ce soir est aussi bon et aussi insipide que les précédents – il n’y a d’ailleurs qu’un nombre réduit de traiteurs dans le département, de même qu’il n’y a qu’un nombre réduit de vidéastes. (…)