vendredi 15 décembre 2017

Tiens ferme ta couronne

Tiens ferme ta couronne - Yannick Haenel

Gallimard - Collection L'Infini (2017)


J'avais conscience, en discutant avec des producteurs, qu'il n'était pas facile de se représenter le sujet de mon scénario et lorsque, à un moment de la conversation, l'un d'eux finissait par dire : « Mais de quoi ça parle ? », j'aimais beaucoup dire que ça parlait de ça : « l'intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville ».
Était-ce le mot « mystiquement » ou le mot « alvéolé » qui provoquait leur stupeur ? Aucun producteur, bien sûr, ne donnait suite. Mais je ne me décourageais pas : lorsqu’on agit contre son propre intérêt (lorsqu’on se sabote), c’est toujours par fidélité à une chose plus obscure dont on sait secrètement qu’elle a raison. Après tout, ce qui est très précieux est aussi difficile que rare. (page 12)

Le narrateur a écrit un scénario de 700 pages sur la vie d’Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, pour lui le plus grand écrivain américain. Ce qu’il veut faire entendre de Melville, c’est sa pensée, plus exactement l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville. Difficile avec ça de trouver un producteur capable de porter le projet à l’écran, d’autant que pour le narrateur, seul quelqu’un de la trempe de Michael Cimino serait à la hauteur du challenge. Et puis, par hasard, un producteur français, Pointel, lui donne le numéro de téléphone de Cimino. Le narrateur contacte le cinéaste, obtient, sans difficulté, un rendez-vous trois jours plus tard, à New York, devant le Cavalier polonais de Rembrandt à la Frick Collection.

Hé oui, ce livre démarre très fort !
Et ce début prometteur n’est pas un leurre, ça continue sur le même rythme pendant 331 pages, dans lesquelles on rencontre Michael Cimino, certes, mais aussi Isabelle Huppert en personne, un sévère maitre d’hôtel sosie d’Emmanuel Macron, un dalmatien pataud, une jeune chercheuse très attirante, un voisin irascible et absent, pour ne citer que quelques figures de ce roman, sans parler du héros, qui se qualifie lui-même à plusieurs reprises de fou. Je ne sais pas s’il est réellement fou, mais ce dont je suis sûre, c’est qu’il est fou de cinéma, et en particulier de Voyage au bout de l’enfer et de La porte du paradis de Cimino, ainsi que d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, passant ses jours et ses nuits à voir et revoir sans cesse ces films en boucle, décortiquant les actions, analysant les personnages et revisitant les figures mythiques des œuvres, en écho au daim blanc qui symbolise la vérité selon Melville.

J’ai commencé ce livre dans un état d’esprit particulier, pleine de culpabilité d’avoir raccroché au nez d’un parent qui pour la nième fois, entreprenait de me raconter ses quarante années de démêlés avec l’administration, et de n’avoir pu échapper à cette logorrhée qu’en coupant la ligne, incapable de me faire entendre et de stopper des propos insensés. Le soir même, j’attaquais ce livre de Yannick Haenel, dont je n’avais encore rien lu. Et voilà que j’y retrouve un autre style de logorrhée, s’agissant ici de l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête d’Herman Melville !
Bon, d’accord, ça change des problèmes d’autorisation de stationnement, de déposes de roues, de majuscules accentuées et d’adresses incorrectes de mon correspondant téléphonique ! Alors, j’ai continué ma lecture, pour me changer les idées et je me suis laissée emporter par la prose de Yannick Haenel, en me demandant souvent pourquoi il s'était donné la peine de choisir ce beau titre pour son livre alors que « Accroche-toi au pinceau » aurait fait l’affaire !
Et puis, tout de même, lorsque le narrateur se plonge sans cesse dans le film de Cimino, Voyage au bout de l’enfer, je ne peux qu’être d’accord avec lui, partager ses points de vue et ses analyses. Alors, lorsqu’il évoque, de la même façon obsessionnelle, d’autres films que je connais moins, comme La porte du paradis ou Apocalypse Now, je suis très curieuse de sa vision de ces films et très intéressée par son approche.
À partir de là, j’ai oublié mes réticences et j’ai continué ma lecture sans à priori, je suis entrée dans cet univers foutraque et déjanté, j’ai accepté de suivre le narrateur dans ses errances alcoolisées, j’ai ri aux péripéties de sa soirée dans un grand restaurant chic, j’ai compati à ses démêlés avec sa concierge et à ses problèmes de voisinage. Je me suis inquiétée du sort de Sabbat, le dalmatien et je suis d’ailleurs très fâchée contre Yannick Haenel qui n’a pas pitié de nous, pauvres lecteurs, puisqu’il nous a laissés sans nouvelles de l’animal, comptant sans doute sur nous pour continuer à le chercher dans les rues de Paris !

Bref, une lecture que je recommande, qui a eu sur moi un effet salutaire, qui m’a prouvé que certaines folies pouvaient être créatives et fructueuses, au lieu de tourner en rond de façon stérile et nombriliste. Une belle expérience

mardi 21 novembre 2017

Peggy dans les phares

Peggy dans les phares – Marie-Ève Lacasse

Flammarion (2017)

Pour les uns, Peggy était sublime, terrifiante, respectée, admirée. Pour les autres, paumée, ratée, alcoolique. Pour la plupart, élégante, habitée, chaleureuse. Le qualificatif le plus méchant qu’on ait pu lui attribuer, c’était inintéressante. Qui dit vrai ? J’ai voulu me faufiler dans leur histoire pour restituer une vérité fausse et vraie qui est la mienne, et qui pourrait, par le miracle de la fiction, être aussi la leur. (page 243)
J’ai entendu parler de ce livre de Marie-Ève Lacasse alors que je lisais Sagan et fils, le témoignage de Denis Westhoff consacré à sa mère. Il y était bien sûr question de Peggy Roche, celle qui fut la compagne de Françoise Sagan pendant quinze ans et dont la mort fut, selon Westhoff, une perte terrible pour sa mère.

Alors évidemment, j’ai eu envie de découvrir grâce au livre de Marie-Ève Lacasse qui fut Peggy Roche, mannequin-cabine, styliste, rédactrice de mode chez Elle, successivement épouse d’un photographe de guerre puis d’un acteur connu. Comment est-elle entrée dans le cercle de Sagan, pourquoi est-elle si peu connue, si peu mise en avant ? Quel a été son rôle auprès du charmant petit monstre ?

Des réponses à ces questions, j'en ai trouvé dans ce roman. Roman et pas document, car comme l’écrit Marie-Ève Lacasse dans sa conclusion citée en ouverture de ce billet, c’est sa vérité à elle qu’elle donne à lire dans ce livre, celle qu’elle a reconstituée après une longue enquête à partir des témoignages des proches qui ont bien voulu lui parler de Peggy. Mais il reste de nombreuses questions sans réponse à propos de cette femme discrète, sur son père, sur l’enfance, sur la relation avec Sagan et les raisons de celle-ci de maintenir sa compagne dans l’ombre.

La construction très libre de ce livre en fait une lecture agréable. Les allers et retours dans le temps gomment l’aspect documentaire pour faire ressortir tous les éléments romanesques de cette histoire, et apportent une pierre de plus à la découverte de la vie de Françoise Sagan. La romancière n’apparait pas toujours à son avantage chez Marie-Ève Lacasse, surtout lorsqu’elle semble ne pas assumer sa relation avec Peggy face à l’extérieur. Ainsi, lorsque Sagan reçoit chez elle, dans la maison qu’elle partage avec Peggy, elle demande à celle-ci de quitter les lieux avant l’arrivée des invités et de revenir comme si elle était elle-même une invitée.

On peut ressentir de l'agacement à la lecture de la description du milieu où vivaient Françoise Sagan et Peggy Roche, un univers superficiel où l'argent coule à flots - au moins dans les débuts - où les soirées arrosées d'alcool et de drogues se succèdent. J'ai volontairement laissé cet aspect de côté pour mieux apprécier la façon dont Marie-Ève Lacasse dessine le portrait de son héroïne et dépeint un amour durable et précieux, et c'est ce que je veux retenir de cette lecture.

mardi 14 novembre 2017

Un livre de raison

Un livre de raison – Joan Didion

Grasset (2017)
Traduit de l’anglais (US) par Gérard-Henry Durand


Grace Strasser-Mendana, la narratrice, est une américaine qui s’est mariée avec l’un des fils de la famille Mendana, au pouvoir du Boca Grande, un état imaginaire d’Amérique centrale. Grace était anthropologue, elle a travaillé avec Lévi-Strauss, puis elle s’est passionnée pour la biochimie. Elle est veuve, atteinte d’un cancer incurable. Elle a décidé d’être le témoin de Charlotte Douglas, une autre américaine, échouée à Boca Grande parce qu’elle recherche sa fille Marine, disparue à l’âge de dix-huit ans. Marine qui s’est enfuie avec un groupe de combattants révolutionnaires, Marine dont le corps aurait été retrouvé à la suite d’une opération de guérilla. Mais cela, Charlotte ne peut pas l’entendre et Grace s’est donnée pour tâche de reconstituer son parcours, sa quête pour retrouver sa fille.

Je suis très consciente que mon résumé ne donne qu’un aperçu très incomplet de ce livre assez bizarre. Deux femmes très différentes, l’une qui essaye de comprendre comment fonctionne l’autre et ce qui l’a conduite jusqu’à Boca Grande où elle a trouvé la mort. Autant Grace est rationnelle, attachée aux faits et aux chiffres, autant Charlotte Douglas est fantasque, passionnée, irréfléchie. Grace ne s’entend pas avec son fils, Charlotte est prête à tout pour sa fille. Grace a compris le fonctionnement politique de Boca Grande, ses dangers et les compromissions obligées si l’on veut rester en vie, Charlotte n’hésite pas à défier les agents de la CIA qui la surveillent et elle ne respecte aucune règle de conduite.

Peut-être faudrait-il lire plusieurs fois ce livre pour réussir à en extirper ce qu’a voulu nous raconter Joan Didion, il faudrait accepter de se confronter plusieurs fois à ces personnages qui ne sont pas sympathiques, l’un d’entre eux, Warren Bogart, premier mari de Charlotte et père de Marine, étant le pire de tous, raciste, sexiste, alcoolique et j’en passe ! La narration est heurtée, suivant en cela l’attitude de Charlotte Douglas, femme toujours au bord de l’abîme, instable, incapable de se poser. La description que donne Grace des soubresauts politiques qui traversent régulièrement le pays est savoureuse et certainement inspirée de faits réels.

Pour résumer, une lecture un peu difficile d’accès, qui permet néanmoins de découvrir plus avant le talent de Joan Didion, que j’ai toujours plaisir à explorer. Je me demande encore pourquoi l’auteur a nommé son livre « A book of Common Prayer » en version originale, il y a certainement une intention dans ce titre que je n’ai pas élucidée. Il faudra sans doute que je cherche à lire les articles parus aux États-Unis à propos de ce livre pour le découvrir. Si quelqu’un a une idée, ça m’intéresse !

À noter : ce roman est paru en français successivement chez plusieurs éditeurs : en 1978 chez Julliard, chez Robert Laffont en 2010 dans cette même traduction, avant l’édition chez Grasset que j’ai lue ici. On peut dire que les éditeurs français sont persévérants pour faire découvrir Joan Didion et son œuvre à leurs lecteurs !

dimanche 12 novembre 2017

Du fond de mon coeur

Du fond de mon cœur – Jane Austen

Traduit de l’anglais et présenté par Marie Dupin
Éditions Finitude (2015)


Le sous-titre de cet ouvrage, lettres à ses nièces, résume parfaitement la première partie de ce livre. Il s’agit de lettres que Jane Austen a adressées à trois de ses nièces, Anna, Fanny et Caroline.
Deux aspects dans ses lettres : d’abord, le côté documentaire sur la vie que menait Jane Austen, lorsqu’elle évoque son quotidien, les promenades, les visites diverses, les voyages et séjours chez ses frères. On y retrouve l’ambiance de son roman Emma. Et puis, ce qui est plus intéressant, ce sont ses conseils d’écritures à ses nièces et ses suggestions sur les textes qu’elles lui envoient pour commentaires et correction. Jane Austen, bien que restée célibataire, avait des idées très arrêtées sur ce qu’une jeune fille doit attendre d’une relation amoureuse et sur ce qui doit la conduire ou non au mariage !

Ensuite, dans la deuxième partie, sont rassemblées des lettres de Cassandre, la sœur de Jane, qui annoncent son décès aux nièces, leurs réponses suivies de leurs témoignages à propos de leur tante lorsqu’un neveu de Jane, Edward Austen-Leigh, les sollicitera pour préparer son livre en hommage à sa tante. Ce qui est assez surprenant dans ces témoignages, c’est la différence de perception de leur tante entre les nièces. Autant Anna et Caroline sont élogieuses à son sujet, pleines d’affection et de reconnaissance, autant Fanny est mesquine et critique, trahissant là d’une manière impardonnable celle qui l’aimait tant.

Un recueil très émouvant à lire sans hésitation si on est fan de Jane Austen, qui apporte un éclairage passionnant sur la façon dont elle construisait ses romans et qui fournit des clés pour comprendre quels étaient ses principes de vie. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit restée célibataire !

mercredi 8 novembre 2017

Les histoires de Franz

Les histoires de Franz – Martin Winckler

Éditions P.O.L (2017)

J’ai emprunté ce livre de Martin Winckler à la médiathèque parce qu’il était sur la table des nouveautés. De l’auteur, je n’ai lu que La maladie de Sachs, qui m’avait emballée !

Ces histoires de Franz, je n’en savais rien. Même pas qu’il faisait suite au précédent roman Abraham et fils paru en 2016, à propos duquel je n’avais rien lu non plus. Quand j’ai appris cela dans l’avertissement en début d’ouvrage, je me suis demandée s’il ne fallait pas rendre ce livre tout de suite et emprunter le précédent pour reprendre l’histoire dans l’ordre. Mais comme j’avais attendu celui-ci plusieurs semaines, j’ai commencé ma lecture et j’ai bien fait, d’autant que de fréquents retours dans le temps permettent de resituer la chronologie des évènements qui sont relatés dans le premier.

Je ne tenterai pas de résumer ce gros livre de plus de 500 pages. Ce serait trop difficile et ça dévoilerait trop de choses dont je veux laisser le plaisir de la découverte aux futurs lecteurs qui passeraient par ici.
Pour situer le cadre, je dirai juste qu’il s’agit d’une famille recomposée, les Farkas. Il y a Abraham, médecin, et son fils, Franz, celui du titre. La mère est morte très jeune en Algérie, pendant les évènements, victime d’un attentat, après lequel Franz lui-même est resté longtemps dans le coma. Après un séjour aux États-Unis, Abraham et son fils sont venus s’établir dans le Loiret et le médecin a engagé une assistante, Claire Delisse, veuve elle aussi, avec une fille, Luciane, plus âgée que Franz. Plus tard, Abraham et Claire se sont mariés, recréant ainsi une cellule familiale aimante et harmonieuse. Parce que Franz, devenu adolescent, postule pour aller vivre dans une famille aux États-Unis et y poursuivre ses études, il doit se présenter dans une lettre qu’il adresse à l’organisme chargé des sélections et fournir des témoignages et des recommandations. C’est le point de départ de ce roman, où se succèdent les voix de Franz, d’Abraham, de Claire, de Luciane et d’autres encore, qui racontent la vie, l’Histoire et en particulier les combats féministes des années 60-70, l’accès à la contraception et à l’avortement, et la façon dont ces luttes se vivent au quotidien pour un médecin engagé.

J’ai trouvé ce livre passionnant, original dans sa forme car il alterne de nombreux types de narration, et très humain, ce qui ne m’a pas surprise de la part de Martin Winckler. Maintenant, je n’ai plus qu’une envie, c’est de lire Abraham et fils, et qu’une impatience, c’est que la suite, Franz en Amérique, soit publiée !

lundi 30 octobre 2017

Comment vivre en héros ? #MRL17

Comment vivre en héros – Fabrice Humbert

Gallimard (2017)

Tristan Rivière, lycéen de seize ans et adepte de boxe, a irrémédiablement déçu son père, Marcel, ouvrier et fervent communiste, le jour où il a abandonné Bouli, son coach, alors que celui-ci, toujours prêt à la bagarre, se colletait avec trois loubards dans le métro. Submergé par le nombre, Bouli fut gravement blessé et Tristan définitivement déclaré lâche par Marcel qui, jusque-là, avait toujours rêvé son fils dans le rôle du héros. Tristan, écrasé par la honte, ne remet plus jamais les pieds au club et traine ses remords comme un fardeau, persuadé qu’il est et sera toujours un incapable. Dix ans plus tard, alors qu’il est devenu professeur d’histoire-géographie dans un collège difficile, il se retrouve dans une situation analogue, alors qu’il rentre d’une soirée. Une jeune fille se fait importuner par un groupe de jeunes un peu échauffés et Tristan doit décider en trente-huit secondes ce qu’il va faire : ne pas réagir et risquer de revivre les tourments qu’il a déjà traversés ou se porter au secours de la jeune fille au risque de se faire démolir par le groupe. Avec génie, il choisira une troisième solution qui changera le cours de sa vie et lui donnera accès à un milieu social jusque-là inatteignable et à une carrière politique qu’il n’aurait jamais envisagée.

Ce n’est que le début de la vie de Tristan et l’amorce des péripéties qui vont se succéder au fil des quatre cents pages de ce roman. Je ne peux pas dire que je ne l’ai pas aimé, sur le moment j’ai tourné les pages avec hâte, toujours avide de savoir ce qui allait arriver à Tristan, dans son destin de héros décidé depuis la naissance par son père et si difficile à assumer. Ce que j’ai aimé, c’est toute la partie qui raconte l’ascension politique de Tristan, la façon dont il s’impose avec le soutien de son beau-père. Mais je suis réservée sur le choix de Fabrice Humbert d’illustrer son propos par la théorie du héros qu’il développe comme fil conducteur de ce roman. J’avais d’ailleurs déjà ressenti cette impression avec un autre de ses romans, L’origine de la violence, où, de la même façon, il utilisait un discours théorique sur la violence pour soutenir une histoire qui, à mon avis, n’en avait absolument pas besoin.

En résumé, une petite déception, d’autant que j’ai lu de nombreux avis plutôt favorables sur ce livre. Je suis peut-être passée à côté de ce roman !

Merci à PriceMinister et aux éditions Gallimard qui m’ont gracieusement adressé ce livre dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire 2017.

mardi 24 octobre 2017

Une année studieuse

Une année studieuse – Anne Wiazemsky

Gallimard (2012)

Un jour de juin 1966, j’écrivis une courte lettre à Jean-Luc Godard adressée aux Cahiers du cinéma, 5 rue Clément-Marot, Paris 8e. Je lui disais avoir beaucoup aimé son dernier film, Masculin Féminin. Je lui disais encore que j’aimais l’homme qui était derrière, que je l’aimais, lui. J’avais agi sans réaliser la portée de certains mots, après une conversation avec Ghislain Cloquet, rencontré lors du tournage d’Au hasard Balthazar de Robert Bresson. (Page 11)

Après trois rencontres « ratées » entre la jeune fille et le cinéaste, c’est cette lettre d’Anne qui va inciter Jean-Luc Godard à la rejoindre près d’Avignon où elle passe ses vacances chez une amie. Et c’est là que va démarrer leur histoire d’amour au fil de quelques visites.

C’est une année qui ne sera pas uniquement studieuse que raconte Anne Wiazemsky car, si elle obtient finalement son baccalauréat de philosophie à la session de septembre grâce aux cours particuliers de Francis Jeanson et qu’elle s’inscrit à la faculté de Nanterre où elle côtoiera Daniel Cohn-Bendit , elle va aussi poursuivre sa relation avec le cinéaste, tourner dans son film, La Chinoise, et finalement épouser Jean-Luc Godard, tourner le dos à des études qui lui pèsent et dont elle ne voit plus l’intérêt.

J’avais aimé Jeune fille, le précédent livre d’Anne Wiazemsky où elle racontait sa première expérience cinématographique sur le tournage d’Au Hazard Balthazar.
J’ai encore plus aimé celui-ci où j’ai eu l’impression d’assister à la naissance d’un papillon, de voir celle qui n’est au début qu’une jeune fille peu assurée déployer ses ailes au fur et à mesure, prendre des décisions, se libérer de son cocon familial, découvrir une autre vie.
Et ce n’est pas seulement sa rencontre avec Godard et leur histoire d’amour qui vont être le déclencheur, mais aussi les leçons de Jeanson, le tournage du film, ses cours à la fac, les trajets en train, la découverte de la banlieue pour la petite parisienne des beaux quartiers. Autant d’expériences racontées avec candeur et sincérité, dans un style fluide et sans artifice que j’apprécie toujours autant.

jeudi 19 octobre 2017

Un vertige

Un vertige – Hélène Gestern

Éditions arléa (2017) collection 1er mille

Un homme et une femme se rencontrent, s’aiment pendant trois ans. Il la quitte car, marié et père de famille, il ne supporte plus la situation. Mais il continue à lui écrire. Sept ans plus tard, ils se retrouvent et la passion reprend, brièvement, jusqu’à ce qu’il lui signifie la rupture dans une longue lettre envoyée d’Asie.

Contrairement à ce que vous pourriez croire à la lecture des quelques lignes ci-dessus, il ne s’agit en aucune façon d’un résumé de ce livre d’Hélène Gestern, que j’ai reçu grâce à l’opération Masse critique. Non, c’est plutôt ce que j'ai retenu  des propos de la narratrice lorsqu’elle raconte ce que fut son histoire d’amour avec T. et qu’elle décrit les tourments qui ont suivi. Pas de chronologie dans son récit, mais plutôt une évocation de ce que furent les années où cet homme eut une place dans sa vie, succession de souvenirs déclenchés par des mots ou des expressions tels que solitude, messages, train, jalousie, chats, corps, piscine (de Saint-Malo), photographies, annonce (de la rupture), la forêt, Jean-Jacques, Bibliothèque nationale, salle d’attente, rue C., écrire.

Et ce dernier mot, écrire, voici ce qu’il lui inspire, dans cet extrait page 67 :
Écrire n’a pas été salvateur. La grande souffrance s’est faite dans le silence. Lorsque j’ai commencé à mettre en texte l’expérience – que je juge rétrospectivement effroyable - que je finissais de traverser, j’avais une idée assez précise du point où j’en étais sur la cartographie de la perte et du désenchantement. J’ai formé, en pensée, quelques-uns de ces récits en me disant que cet amour, les décisions graves qu’il avait entraînées, la force émotionnelle qu’il avait charriée ne pouvaient rester lettre morte. Que si j’abandonnais cette détresse dans l’entropie quotidienne des jours, je me tournerais en quelque sorte le dos et j’achèverais de consommer l’élément le plus intolérable de cette relation manquée : le sentiment de gratuité, d’absurdité, de gâchis.
À la suite de ce premier texte qui donne son nom au roman, l’auteur nous en offre un autre de moins de vingt pages, intitulé La séparation. Ici, elle s’interroge sur ce qui se passe lors de la séparation dans un couple, ce que ça signifie réellement en termes de perte, de désillusion, de repli sur soi, de colère, d’envie de vengeance. Jusqu’au jour où l’apaisement vient et qu’il est enfin possible de passer à autre chose.

Extrait page 76 :
On ne sait d’où est partie cette rumeur sourde qui a fini par faire trembler le sol, on ignore à quelle heure, quelle seconde, notre frère de chair a fait ce pas de côté, on ne sait à la faveur de quel mensonge, de quel concours de circonstances, s’est ourdie la catastrophe. On ignore, en somme, par quelles micro-blessures, quelles infimes trahisons, a coulé le sang de la relation. Mais voilà que, avec la même inexorabilité que le mouvement de la mer, l’amour commence son retrait, à bas bruit, ô à peine un recul, une lisière imperceptible qui se décale, et qui pourrait presque laisser croire, les jours de grand soleil, que rien n’a bougé.
Même si je dois avouer la légère déception qui a pointé au cours de cette lecture, je dois saluer la force qui émane de ces deux textes. Hélène Gestern fait preuve d’une grande lucidité, ne sombre jamais dans le pathos, décortique les petits signes de la passion et du désamour, analyse ses faiblesses et celles de l’autre, avec honnêteté sans jamais chercher à se donner le beau rôle.
Deux textes à découvrir sans hésitation, car ma déception tenait surtout à un malentendu, l'attente de retrouver dans ce livre une intrigue analogue à celle de ses romans précédents, comme Eux sur la photo ou L’odeur de la forêt. Ici, le récit est beaucoup plus personnel, l’écriture est un moyen de ne pas se laisser aller au désespoir, de comprendre ce que l’on vit et d’en émerger plus fort, apaisé.

Comme toujours, la plume d’Hélène Gestern est très agréable, précise et fluide. J’en redemande !

Merci à Babelio et aux éditions arléa pour l’envoi gracieux de ce livre.

jeudi 5 octobre 2017

Jeune fille

Jeune fille

Anne Wiazemsky
Gallimard (2007)


Drôle de hasard... En m’installant devant mon ordinateur aujourd’hui pour commencer à écrire ce billet, je découvre que la mort d’Anne Wiazemsky vient d’être annoncée par son frère. Juste avant, je m’interrogeais sur la façon dont j’allais commencer mon billet. Je n’imaginais pas que l’actualité allait m’offrir cette triste ouverture.
C’est la sortie du dernier film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, qui m’a incitée à emprunter ce livre à la médiathèque. Certes, le film est inspiré d’un autre livre d’Anne Wiazemsky mais je savais que dans Jeune fille, elle relatait sa première expérience d’actrice et il me semblait naturel de redécouvrir son parcours cinématographique depuis le début.

C’est en 1965 qu’Anne Wiazemsky, âgée de 17 ans, rencontre le cinéaste Robert Bresson qui va l’engager pour tenir un des rôles principaux dans son film Au hasard Balthazar. Le tournage a lieu pendant l’été et va participer à la transformation de l’adolescente, encore très protégée par son cocon familial, en une jeune fille plus libre et plus assurée.

J’ai déjà lu plusieurs livres d’Anne Wiazemsky, je les ai appréciés mais n’ai jamais réussi à en parler ici, pour des raisons que je n’identifie pas complètement. Peut-être parce que ces romans sont largement basés sur des éléments autobiographiques de l’auteur et qu’ils me parlent plus comme témoignage que comme intrigue romanesque. Et pourtant, il m’arrive d’écrire sur mes lectures d’essais ou de documents.

Ce livre-ci, aussi, je l’ai bien aimé. Sans doute parce que cette année 1965 me replonge dans l’enfance – j’avais sept ans et cette année a marqué un tournant dans ma vie, pas vraiment heureux, pourtant. Je retrouve dans les mots d’Anne Wiazemsky les traces d’une certaine éducation, des principes que l’on avait même dans des milieux moins intellectuels et privilégiés que celui où elle évoluait. Et puis j’ai beaucoup aimé la façon dont elle raconte sa découverte de l’univers du cinéma et des plateaux de tournage, sa complicité avec les équipes techniques, ses interrogations face à la personnalité complexe du réalisateur, la progression de sa compréhension de son rôle d’actrice. C’est très agréable à lire, un style sans fioritures, qui soutient un propos parfois léger, parfois plus grave, dans tous les cas sincère et pudique mais dénué de passion. C’est peut-être cette modération qui fait que j’ai du mal à parler des livres d’Anne Wiazemsky.

Un extrait (page 217)
Au sortir du métro Trocadéro, je m'arrête pour marquer une pause. Un brouillard humide et poisseux estompe les bâtiments du palais de Chaillot, l'esplanade, la tour Eiffel, un peu plus loin. Ce brouillard d'octobre accentue l'étrangeté de mon retour à la vie normale : la maison et ma famille, la veille, le collège de Sainte-Marie, maintenant. Depuis que je suis rentrée chez moi, j'ai le sentiment d'être une étrangère en visite. Ma vie n'est pas vraiment là. Ni auprès de Robert Bresson ni au sein de l'équipe du film, comme je l'avais cru durant l'été : cela aussi est terminé. Je l'avais compris en les voyant retrouver leur femme ou leur petite amie. Ma vie, ce serait encore autre chose. Le brouillard soudain se dissipe, la tour Eiffel surgit bien nette et, derrière elle, les jardins du Champs-de-Mars, Paris. Face à ce paysage nettoyé, il me semble que je la pressens ma vie, fugitivement mais à perte de vue.


Ce sont les dernière phrases du livre et la dernière, pleine d'élan, résonne aujourd'hui bien différemment, alors qu'Anne Wiazemsky vient de disparaitre.

jeudi 7 septembre 2017

La fin de tout

La fin de tout – Jay McInerney

Éditions de l’Olivier (2003)
Traduction de Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso


Comme le dernier livre de Jay McInerney, Les jours enfuis, troisième roman autour de Russell et Corrine Calloway après Trente ans et des poussières et La belle vie, n’est toujours pas disponible à la médiathèque que je fréquente, j’ai emprunté pour patienter ce recueil de dix nouvelles paru en France en 2003.

Je ne me doutais pas que j’y retrouverais Russel et Corrine, dans la nouvelle intitulée Fumée, qui raconte leur rencontre à New York et leur tentative d’arrêt de la cigarette après quelques années de vie commune. Texte tout à fait dans la veine de Trente ans et des poussières.

Pas de surprise non plus avec la première nouvelle du recueil, Tiers payant. Alex est venu à Paris pour se consoler du départ de sa femme. Un soir, dans un restaurant branché, il est pris pour un autre par un jeune couple de New-yorkais, qui l’embarque dans une tournée des boites et des bars à ses frais. On y retrouve l’argent, l’alcool, la drogue et le sexe, thèmes qui ont fait le succès de l’écrivain, même s’il ne faut pas le réduire à cela.

Mon texte préféré est le troisième du recueil, Comment j’ai servi l’état. Grandeur et décadence d’un sénateur dans ses tentatives vers la Maison Blanche, racontées par un de ses collaborateurs qui sait exploiter les faiblesses du grand homme pour se venger d’avoir été mis sur la touche.

J’ai bien aimé aussi Hollywood Bizness, qui se déroule sur la côte ouest. Un jeune scénariste découvre qu’il n’est pas facile de se faire une place à Hollywood, qu’il faut accepter les règles de la profession pour se faire un nom. Mais lui aussi, le moment venu, saura tirer parti d’un secret pour progresser dans le métier.

Dans La reine de la nuit et moi, c’est encore le monde de la nuit, du sexe et de la drogue qui est évoqué. Mais là, plus de traders de Wall Street ni d’artistes et d’écrivains en mal de sensations fortes, plus de champagne coulant à flot ni de galas de bienfaisance pour justifier les excès. Juste le Meat District, avec ses hangars à viande qui empuantissent  les environs, jusqu’à Greenwich Village quand le vent vient de l’est, et qui une fois débarrassé des camions réfrigérés et de ses malabars aux tabliers ensanglantés, se transforme en terrain d’exercice pour les travelos de Washington Street. Changement de décor, donc, par rapport à celui où se déroulent les romans de McInerney que j'ai déjà lus, mais l'auteur y est aussi à l'aise et très crédible.

Curieusement, je ne termine pas ce recueil avec un sentiment de frustration, comme c'est souvent le cas lorsque je lis des nouvelles. McInerney nous propose des histoires courtes mais bien ficelées, souvent ironiques et désabusées, témoignage d'un monde qui a pris du plomb dans l'aile avec les attentats de 2001. Si vous n'avez encore rien lu de Jay McInerney, pourquoi ne pas le découvrir avec (cette) fin de tout !

dimanche 27 août 2017

Les fantômes du vieux pays

Les fantômes du vieux pays – Nathan Hill

Gallimard (août 2017)
Traduit par Mathilde Bach


Été 2011 : Samuel Anderson est un jeune enseignant à l’université de Chicago et par ailleurs adepte d’un jeu vidéo, Elfscape, qui occupe tout son temps libre. À tel point qu’il est passé à côté d’un évènement qui fait la une des médias et du Web : sa mère, Faye Andresen-Anderson, qu’il n’a pas revu depuis qu’il a onze ans, a agressé à coup de gravillons le gouverneur Paker, candidat à l’investiture présidentielle. Elle est devenue quasiment l’ennemi public numéro un, surnommée Calamity Packer et transformée par la rumeur en une HIPPIE EXTRÉMISTE, PROSTITUÉE ET ENSEIGNANTE AYANT CREVÉ LES YEUX DU GOUVERNEUR. 
Contacté par l’avocat de Faye qui lui demande d’écrire une lettre en faveur de sa mère afin d’amadouer le juge, Samuel commence par refuser, se sentant incapable d’écrire quoi que ce soit à propos de cette femme qui l’a abandonné et dont il ne sait rien, et n’ayant surtout pas envie de le faire. Mais un rendez-vous avec son éditeur l’oblige à reconsidérer sa position. En effet, suite à la publication d’une nouvelle qui avait rencontré un certain succès, Samuel a perçu, plusieurs années auparavant, un à-valoir conséquent contre la promesse d’écrire un livre, dont il n’a, dix ans plus tard, pas écrit le premier mot. En revanche, il a bien sûr dépensé l’argent pour acheter sa maison, qui entretemps a vu sa valeur divisée par trois ou quatre. Incapable de rembourser l’à-valoir, Samuel, pris à la gorge, propose alors d’écrire un livre-confession sur sa mère, la célèbre Calamity Packer. L’écriture de la lettre de louanges devient alors le prétexte bienvenu pour une première rencontre avec celle qu’il n’a plus vue depuis vingt ans.

Voilà le résumé d'une petite partie de ce gros roman de 700 pages, le fil conducteur d'une histoire qui va beaucoup s’en éloigner.
D’abord dans le temps, en remontant à différentes périodes : l’enfance de Samuel et plus particulièrement en 1988, lorsque Faye a déserté le foyer. Puis, ensuite, en 1968, lorsque Samuel va découvrir les raisons qui ont poussé sa mère à quitter son Iowa natal pour aller étudier à Chicago, où se déroulaient de nombreuses manifestations contre la guerre au Vietnam, et celles qui l’ont ramenée dans l’Iowa à peine un mois plus tard pour épouser le père de Samuel. Il y aura même une incursion dans les années 1940 lorsque Faye s’interrogera sur la jeunesse de son père, qui lui aussi a tout laissé derrière lui en Norvège, son pays de naissance.
Ensuite la narration prend également des libertés avec l’intrigue principale, en s’intéressant à des personnages à première vue secondaires, comme Laura, une étudiante de Samuel, experte dans l’art de la triche et de la manipulation, ou bien Pwnage, grand maître d’Elfscape et symbole particulièrement poignant de l’addiction aux jeux. En 1988, c’est Bishop Fall, un copain de classe de Samuel et sa sœur Bethany qui amènent quelques digressions tout à fait bienvenues. En 1968, à Chicago, la rencontre d’Alice, très impliquée dans le mouvement protestataire, et de Sebastian, responsable d’un journal militant, sera fondamentale dans l’évolution de Faye.

Finalement, ces digressions contribuent à élaborer un roman très bien construit, où les mystères s’éclaircissent les uns après les autres, alors qu’au départ, on avance complètement dans le flou, aux côtés de personnages qui paraissent assez déjantés et soumis à des angoisses qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes, comme Samuel et Faye. La recherche des origines va permettre à l’un comme à l’autre de comprendre l’influence de l’histoire familiale et des vieilles légendes scandinaves. C’est aussi un roman sur l’importance des choix que l’on fait à des moments critiques de la vie et sur les conséquences de ces choix. Et dans la vraie vie, il est hors de question de revenir sur ses pas et d’explorer un autre chemin, comme on peut le faire dans les livres dont vous êtes le héros.

Après un début de lecture qui m’a laissée perplexe - les deuxième et troisième chapitres sont consacrés aux expériences de jeu de Samuel et de Pwnage dans l’univers d’Elfscape et je ne suis pas du tout fan de ce type de jeux – j’ai été embarquée dans ce roman multiforme, plein d’humour et de dérision, qui pointe les contradictions de la société américaine qui font peur quelquefois. Une belle expérience que je recommande vivement, et ce n’est pas seulement parce que j’ai reçu ce livre gracieusement que je le fais !

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cet envoi.

Un extrait page 699 :
Pwnage avait dit à Samuel que chaque personne qui nous entoure représente un ennemi, un obstacle, une énigme ou un piège. Pour Samuel comme pour Faye, dans le courant de l’été 2011, le monde entier était un ennemi. La seule chose qu’ils espéraient encore de la vie, c’était qu’on les laisse tranquilles. Mais le monde n’est pas supportable pour qui y est seul, et plus Samuel a plongé dans l’écriture, plus il a compris à quel point il se trompait. Car en ne voyant les gens que comme des ennemis, des obstacles ou des pièges, on ne baisse jamais les armes ni devant les autres ni devant soi. Alors qu’en choisissant de voir les autres comme des énigmes, de se voir soi comme une énigme, on s’expose à un émerveillement constant : en creusant, en regardant au-delà des apparences, on trouve toujours quelque chose de familier.


De nombreux d'avis déjà sur les blogs :  Kathel, Jérôme, Léa et d'autres encore chez Babelio.

mercredi 28 juin 2017

L'insoutenable légèreté des scones

L’insoutenable légèreté des scones – Alexander McCall Smith

Éditions 10-18 (2014)
Traduit de l’anglais pad Nadège de Peganow


Ce cinquième tome des chroniques d’Édimbourg commence par un évènement heureux, le mariage de Matthew et d’Elspeth, auquel le marié lui-même a du mal à croire, tant il était persuadé de ne jamais réussir à rencontrer l’âme sœur. Ce qu’il n’aurait jamais imaginé non plus, ce sont les péripéties qui manquent de transformer leur lune de miel en Australie en un véritable drame. Et puis, sur le chemin du retour, une escale à Singapour et une visite à son oncle vont mettre Matthew face à la révélation d’un secret de famille.
 

À Édimbourg, pour ceux qui sont restés, les rebondissements ne manquent pas non plus. Domenica a enfin l’occasion, grâce à l’aide d’Angus, de récupérer la tasse de porcelaine que lui avait subtilisée sa voisine Antonia. Angus, quant à lui, se retrouve bien embêté le jour où il trouve au pied de son escalier six chiots, résultats d’une rencontre rapide mais fructueuse entre son chien Cyril et une chienne du quartier.  Domenica et lui sont également stupéfaits lorsqu’ils découvrent incidemment qu’Antonia se livre à un trafic répréhensible.
 

Pour Bertie, guère de changement ! Il espérait que le départ du Dr Fairbairn pour Aberdeen le libérerait des séances de psychothérapie mais c’était sans compter sans l’entêtement d’Irène qui tient à ce qu’il poursuive les séances avec le remplaçant de Fairbairn. Une lueur d’espoir, tout de même, car Bertie s’est mis en tête de devenir scout et d’intégrer les louveteaux et il va trouver un soutien inattendu auprès de son père face au refus d’Irène. Malheureusement pour lui, sa joie va être en partie gâchée par la présence d’Olive qui a réussi, elle aussi, à se faire accepter dans le mouvement.
 

Bruce subit aussi quelques contretemps dans sa vie personnelle. Alors qu’il se voyait déjà casé sentimentalement avec Julia et professionnellement auprès du père de celle-ci, une dispute avec la jeune fille remet tout en question. Revoilà Bruce à la rue, bien heureux de retrouver un ancien camarade de lycée, devenu photographe, qui lui propose de l’héberger et de faire de lui le nouveau visage de l’Écosse !

Big Lou est toujours contrariée par la présence chez elle du fameux prétendant au trône des Stuart mais heureusement, les frasques de celui-ci vont le contraindre à fuir vers les Highlands en compagnie de Robbie.
 

À son retour à Édimbourg, Matthew est attendu impatiemment par Angus car en son absence, Lard O’Connor lui a laissé en dépôt un tableau mystérieux. Angus a cru reconnaitre dans la peinture l’art de Sir Henry Raeburn et dans la figure du portrait la personne de Robert Burns, le grand poète écossais. Comment ce tableau est-il arrivé dans les mains de Lard ? Que faut-il en faire ?

Ah, il s’en passe des choses dans cet épisode ! Du drame, du burlesque, des situations exceptionnelles ou banales, il y en a pour tous les goûts. Comme toujours, à chaque fois, c’est l’occasion de s’interroger sur des questions essentielles, sur l’éthique, sur l’honnêteté, sur l’authenticité, mais également sur des petites choses sans importance, comme le bien-fondé de l’usage de la crème hydratante pour les hommes ! Toujours grâce à Bernie, le lecteur a l’occasion de replonger en enfance et d’observer avec un regard candide les faits et gestes des adultes, souvent bien déroutants !

Quelle série rafraîchissante !

lundi 26 juin 2017

Harry Potter à l'école des sorciers

Harry Potter à l’école des sorciers – J. K. Rowling

Gallimard Jeunesse (1998)
Traduit par Jean-François Ménard


Je l’ai entendu ce matin sur France-Inter et j’en ai trouvé des échos dans la presse : Aujourd’hui, il y a 20 ans exactement qu’a été publié le premier tome des aventures d’Harry Potter. Coïncidence, c’est aujourd’hui que je termine ma première lecture de ce roman pour la jeunesse, que pour une fois, mes enfants ont lu avant moi !

Eh bien, contrairement à ce qui se passe parfois lorsqu’on se décide à lire un texte encensé partout et qu’on ressent une petite pointe de déception, j’ai trouvé beaucoup de plaisir dans cette lecture et j’ai compris pourquoi ce premier épisode avait déclenché un tel engouement.

Je craignais une histoire compliquée, des personnages multiples aux noms biscornus et des créatures imaginaires toutes plus bizarres les unes que les autres ! Je me trompais, on entre doucement dans l’univers d’Harry Potter, un environnement assez banal au début puisqu’Harry ignore tout de ses dons et de son histoire familiale et on les découvre avec lui, au fur et à mesure, en douceur presque.

Contrairement aux films qui ont été tirés des romans - et dont j’ai vu certains, quand même – il y a dans ce livre beaucoup moins de choses qui font peur. Peu de sensationnalisme dans les descriptions, tout est vu au travers des yeux des enfants. La sagesse et la candeur d’Harry contribuent à installer une ambiance confiante et presque détendue, animée par les séances de Quidditch, les sorties de nuit dans la forêt interdite et les intrusions à l’étage expressément défendu !

Je termine donc ce premier tome, enchantée de ma lecture et prête à découvrir la suite. Mais je ne vais pas me précipiter car j’ai d’autres livres plus sérieux qui m’attendent sur ma table de nuit et qui sauront aussi, j’en suis sûre, me captiver !    

jeudi 15 juin 2017

Le monde selon Bertie

Le monde selon Bertie – Alexander McCall Smith

Éditions 10/18 (2010)
Traduit par Élisabeth Kern


Déjà presque six ans depuis ma dernière lecture des chroniques d’Édimbourg ! En commençant ce tome 4, Le monde selon Bertie, je me suis tout de suite retrouvée en terrain connu, avec l’impression de renouer avec de vieux amis ! Comment ai-je pu laisser passer tout ce temps !

Domenica est revenue de son expédition à Malacca et a repris possession de son appartement. À sa grande surprise, son amie Antonia, qu’elle avait hébergée pendant son absence, a acheté l’ancien appartement de Bruce, sur le même palier et elles se retrouvent donc proches voisines. Et bizarrement, Domenica n’apprécie pas cette proximité ! Mais, difficile de faire part de cette contrariété à Angus, très préoccupé lui-même car son chien, Cyril, est retenu à la fourrière, accusé d’avoir mordu des passants.
Pat est toujours étudiante et elle a regagné le domicile parental. Elle travaille quelques demi-journées par semaine à la galerie de Matthew, officiellement son petit ami. Mais elle s’interroge sur la tiédeur de leur relation, d’autant plus lorsqu’elle croit apercevoir Bruce dans la rue et qu’elle se souvient des sentiments qu’il lui inspirait, même si elle est certaine de ne plus succomber à son charme. Matthew se pose lui aussi des questions sur sa vie sentimentale et professionnelle, surtout lorsqu’il compare son existence à celle de Big Lou, la tenancière du café près de sa galerie d’art. Celle-ci semble avoir retrouvé l’amour en la personne de Robbie, mais les amis jacobites de celui-ci, c’est-à-dire nostalgiques du règne des Stuart, lui sont un peu moins sympathiques.
Pat ne s’est pas trompée, Bruce est bien de retour à Édimbourg, après un séjour londonien qui n’a été qu’un demi succès, et il compte bien reprendre ses habitudes dans sa ville qui ne lui paraît plus aussi terne et sans intérêt, finalement. D’ailleurs, la rencontre avec Julia Donald, une jolie fille à papa, lui offre de belles perspectives, à la fois amoureuses et professionnelles. On dirait que la chance lui sourit de nouveau !
Et puis, n’oublions pas Bertie, qui espérait tant de l’arrivée de son petit frère et qui doit déchanter très vite ! En effet, Irène, sa mère, malgré toute l’attention que suscite Ulysse, n’a pas du tout réduit ses attentes vis-à-vis de son fils ainé. Il lui faut toujours subir les cours d’italien et de saxophone et les séances chez le psychothérapeute. Bertie est d’ailleurs interpellé par la ressemblance entre Ulysse et le Dr Fairbairn et surpris par les réactions d’Irène, de Stuart et du docteur lorsqu’il leur fait part de ses observations. À l’école, la situation reste compliquée car Bertie est confronté à l’insistance d’Olive, une petite camarade de classe autoritaire et manipulatrice, qui réussit à se faire inviter chez Bertie alors qu’il ne souhaite qu'a l’éviter. La vie n’est pas facile quand on n’a que six ans !


J’ai retrouvé ces chroniques écossaises avec plaisir. Elles retracent des évènements sans importance, des petits bonheurs furtifs et des contrariétés quotidiennes, les petites choses de la vie qui s’écoule paisiblement, les interrogations de certains qui sentent bien qu’il leur manque on ne sait quoi pour être complètement heureux et les certitudes d’autres qui ont l’assurance d’être parfaits.

Il se dégage toujours autant d’humour de ces épisodes et encore, je suis certaine de passer à côté de beaucoup de choses, moi qui ne suis pas familière de l’Écosse et encore moins d’Édimbourg ! La plume d’Alexander McCall Smith est agréable, caustique quand il le faut mais pleine de tendresse pour ses personnages que j’ai hâte de retrouver dans le prochain opus !

lundi 5 juin 2017

Un café maison

Un café maison – Keigo Higashino

Traduit du japonais par Sophie Refle
Actes Sud (2012)


Résoudre un crime parfait, c’est à cela que sont confrontés l’inspecteur Kusanagi et sa collègue Kaoru Utsumi. 
Qui a empoisonné Yoshitaka Mashiba en mettant du cyanure dans son café ? Et surtout, comment l’assassin a-t-il procédé ? 
Il y a évidemment des suspects, à commencer par l’épouse de la victime, Ayané, d’autant que son mari venait de lui annoncer qu’il allait la quitter car elle ne lui avait pas donné d’enfant en un an de mariage. Mais l’inspecteur Kusanagi ne peut croire en sa culpabilité et d’ailleurs, elle a un alibi inattaquable : elle se trouvait chez ses parents à Sapporo, où elle était allée passer quelques jours après l’annonce de son mari. Il pourrait aussi s’agir de Hiromi Wakayama, l’assistante d’Ayané mais également maitresse de Yoshitaka. Mais quel intérêt aurait-elle eu à empoisonner son amant, alors qu’elle porte son enfant et qu’il s’apprêtait à quitter sa femme pour elle ? 
Encore une fois, les policiers vont devoir se faire aider par Manabu Yukawa, le directeur du laboratoire de physique de l’université et accepter de mettre leurs à priori de côté pour envisager toutes les hypothèses, même les plus improbables.

Ce roman de Keigo Higashino ressemble beaucoup à une autre enquête du même auteur, Le déroulement du suspect X, tout du moins dans son processus de résolution. Là, on connaissait le coupable et le suspens était de savoir si la police allait réussir à le trouver.
Ici, dès les premières pages, Higashino fournit au lecteur un très gros indice, presqu’un aveu de la part de la principale suspecte, pour aussitôt noyer les pistes sous un ensemble d’alibis et d’incapacités matérielles contradictoires, ce qui fait que le lecteur ne sait plus où il en est. On suit alors avec jubilation le cheminement de Yukawa, qui va devoir exercer toutes ses compétences d’imagination, de déduction et de persuasion pour élucider ce crime parfait et convaincre les deux policiers de son approche.

Une réussite que ce roman, en particulier grâce à l’étude psychologique des personnages qui rend la victime si antipathique et suscite une certaine empathie pour son assassin, même si son côté calculateur peut rétrospectivement faire froid dans le dos.

lundi 15 mai 2017

La lumière de la nuit

La lumière de la nuit – Keigo Higashino

Actes Sud (2015)
Traduit du japonais par Sophie Refle


Pas sûr que je me serais intéressée à ce gros livre de plus de 650 pages si je n’avais pas lu le billet de Yueyin à son sujet.

Et c’est parce qu’elle y citait un autre livre de Keigo Higashino, Le dévouement du suspect X, que mon attention a été éveillée.

Car, de Keigo Higashino, j’avais lu ce polar à l’intrigue assez inhabituelle – on connait l’identité de l’assassin mais le suspens s’exerce ailleurs - mais aussi, La maison où je suis mort autrefois, que j’avais vraiment apprécié pour son histoire vraiment originale et une construction habile.

Alors, je n’ai pas hésité, j’ai réservé La lumière de la nuit à la médiathèque et je n’ai pas eu longtemps à l’attendre. Premier choc lorsque je l’ai retiré au comptoir, l’épaisseur du pavé !

L’intrigue démarre d’une façon assez classique : À Osaka, un prêteur sur gages, Kirihara  Yõsuke est retrouvé, assassiné, dans un immeuble en construction. Les premiers soupçons s’orientent vers Nishimoto Fumiyo, une jeune femme chez qui Kirihara s’est rendu dans l’après-midi avant sa mort, après avoir retiré une grosse somme d’argent à la banque. La jeune femme a un alibi qui la disculpe et la police s’intéresse alors à un de ses proches, Terasaki, imaginant une histoire de rivalité amoureuse et de jalousie. Mais Terasaki meurt dans un accident de voiture, sans que son implication ait pu être confirmée, et quelques mois plus tard, c’est Fumiyo qui est découverte chez elle, victime du gaz, vraisemblablement suicidée. L’enquête se retrouve au point mort et le meurtre de Kirihara reste un mystère, au grand damne de l’inspecteur Sasagaki. Tenace et persévérant, c’est seulement vingt ans plus tard qu’il élucidera l’affaire, une fois venue l’heure de la retraite.

Entre temps, le récit se disperse, apparemment, en relatant une succession d’évènements concernant la fille de Fumiyo, Yukiho, qui, à la suite de la mort de sa mère, a été adoptée par une parente, ce qui lui a permis de poursuivre brillamment ses études. Un autre personnage qui apparait aussi très régulièrement est Ryõshi, le fils du prêteur assassiné, impliqué dans de drôles de traffics. Et puis, ce qui vient compliquer fortement l’histoire, une multitude d’autres personnages qui interagissent avec Yukiho et Ryõshi, sans que l’on comprenne au début où nous emmène l’auteur.

Je ne veux pas trop en dire, d’abord pour ne pas dévoiler l’histoire et ensuite parce que je serais bien incapable de résumer simplement des péripéties qui s’étirent sur plusieurs années, au gré d’une intrigue parfaitement maîtrisée, où les indices sont semés avec art. Il suffit d’être attentif, le moindre détail a son importance, je reconnais que j’en avais loupé beaucoup à la première lecture. Car, oui, j’ai relu ce pavé, une fois la dernière page tournée, bien consciente d’être passée à côté de beaucoup d’éléments importants, à priori insignifiants comme par exemple un petit grelot ou une paire de ciseaux.

Ce que j’ai aussi trouvé très fort de la part de l’auteur, c’est sa façon de modifier notre perception de Yukiho au fur et à mesure de la progression de l’histoire : une petite fille sage et appliquée au début qui se transforme au fil des années en une businesswoman ambitieuse et manipulatrice. Perception qui sera encore bouleversée par la résolution finale !

Bref, un livre très différent des deux autres que j’avais lu de Keigo Higashino, mais que j’ai apprécié en raison d’une intrigue bien construite et d’une vision intéressante de la société japonaise. 

mercredi 12 avril 2017

L'ombre de nos nuits

L’ombre de nos nuits – Gaëlle Josse

Éditions Noir sur Blanc (2016)

Trois voix s’élèvent dans ce roman : celle de Georges de La Tour, peintre du XVIIème siècle, celle de Laurent, son apprenti, un garçon que le Maître a recueilli alors qu’il errait, orphelin, après avoir vu toute sa famille décimée par la peste et puis, bien plus proche de nous dans le temps, une jeune femme qui, pour occuper quelques heures entre deux trains, visite le musée des Beaux-Arts de Rouen et s’arrête devant un tableau de Georges de La Tour, fascinée par le visage de la femme qui soigne un homme blessé par des flèches. Ce tableau, c’est Saint Sébastien soigné par Irène (dit « à la lanterne »), et c’est lui que l’on peut voir en partie sur la couverture de ce roman.
En ce début d’année 1639, à Lunéville, Georges de La Tour commence à travailler sur un nouveau tableau qu’il destine au roi de France. Il a réfléchi à son sujet et a décidé de prendre sa fille, Claude, comme modèle d’Irène soignant Saint Sébastien, cette femme éclairée par une lumière douce dans une attitude tendre et appliquée. Il charge Étienne, son fils, et Laurent, son apprenti, de préparer les pigments qu’il va utiliser. Laurent est secrètement amoureux de Claude et les séances de pose sont pour lui une occasion d’observer la jeune fille, d’apprécier sa beauté et les efforts qu’elle fait pour répondre aux attentes de son père, même s’il sait qu’elle en aime un autre que lui. Lorsque le tableau sera terminé, Étienne et Laurent accompagneront le Maître dans leur périlleux voyage vers Paris afin de présenter le tableau au monarque.
La narratrice, quant à elle, retrouve dans l’attitude de la jeune femme du tableau, aimante et attentionnée celle qu’elle a été auprès d’un homme quelques années auparavant. Un amour qui n’est plus mais qu’elle regrette encore. Face au tableau, elle se rappelle ce qu’elle a vécu dans cette relation, ses espoirs et ses frustrations face à un homme égoïste et blessant.


J’ai été moins sensible au récit contemporain qu’à celui du peintre et de son assistant. Le récit de la jeune femme est touchant mais j’ai eu un peu de mal à le relier au tableau. Ce que j’ai aimé le plus dans ce roman, c’est de pouvoir accompagner la création de l’œuvre grâce aux réflexions du Maître, son inspiration, ses ambitions. J’ai été émue par le talent d’observation de Laurent, l’assistant, sa sensibilité, la conscience qu’il a de sa position et ses projets toujours au service de la peinture.

C’est un livre délicat, écrit dans une langue subtile et j’y ai retrouvé le plaisir éprouvé lors de la lecture des précédents romans de Gaëlle Josse. Encore une fois, l’impression de faire une pause hors du temps, de se concentrer sur des sensations, des couleurs, de ressentir la magie de l’écriture.

Page 14-15 :
Terre de Sienne, ocre, blanc, carmin, vermillon. La terre et le feu. Et la présence invisible de l’air qui fait vivre la flamme. Je n’ai pas besoin de plus sur ma palette.
Dès demain, je demanderai à Étienne et à Laurent de commencer à préparer les pigments. Étienne est assez habile à cela. Doser, broyer, mélanger. C’est un garçon capable lorsqu’il s’en donne la peine, à défaut d’être un peintre doué. Je le sais, je suis son père, et je regrette d’avoir à m’avouer cette réalité. Il progresse depuis qu’il est entré en apprentissage auprès de moi, mais c’est lent, bien lent. Je souhaite qu’il prenne ma suite, j’espère qu’il s’en montrera capable. Il recevra ma notoriété en héritage, mais il devra travailler dur.
Laurent, mon autre apprenti, est plus vif, plus à l’aise avec le dessin et le maniement des couleurs. Je le vois faire. Son trait est sûr, il n’hésite pas longtemps pour tracer un sujet sur la toile. Pas assez, peut-être, mais j’étais ainsi dans ma jeunesse. Il fallait que ma main exécute aussitôt ce que j’avais en tête. C’est en avançant dans mon art que je m’interroge davantage. Je le vois s’y prendre avec les tissus, les plis, les matières, c’est prometteur. Je me rends compte qu’Étienne lui envie cette facilité. Il y a entre eux une rivalité qui n’ose dire son nom, j’espère que les choses en resteront là. J’ai besoin de silence absolu, de calme quand je peins, je ne veux pas être dérangé par ces enfantillages. L’un d’eux est mon fils, l’autre a du talent, j’ai besoin des deux.

Page 16 :
J’ai entendu Claude se lever tôt ce matin. Lorsqu’elle est descendue nous rejoindre à l’atelier, j’ai remarqué qu’elle s’était lavé le visage et peigné ses cheveux avec un soin tout particulier. Puisqu’elle va retenir l’attention de son père dans ses moindres détails pendant de longues journées, j’imagine qu’elle a voulu se rendre aussi présentable que possible, même si elle n’a aucun besoin d’artifices pour se mettre en valeur.

Page 21 :
Je t’avais oublié, ou presque, depuis toutes ces années. Enfin, pas tant que ça, finalement. Le temps nous pousse vers notre vie, il nous faut nous réinventer, oublier pour pouvoir continuer. La capacité d’oublier est peut-être le cadeau le plus précieux que les dieux ont fait aux hommes. C’est l’oubli qui nous sauve, sans quoi la vie n’est pas supportable. Nous avons besoin d’être légers et oublieux, d’avancer en pensant que le meilleur est toujours à venir. Comment accepter sinon de vivre, sidérés, transis, douloureux, percés de flèches comme cet homme qu’une femme aimante tente de soigner ?
D'autres avis sur ce roman chez Laure, Nicole, Blablablamia et Sabeli.

Découvrez Gaëlle Josse dans deux vidéos sur le site de l'éditeur, dont celle-ci :


vendredi 7 avril 2017

L'odeur de la forêt

L’odeur de la forêt – Hélène Gestern

Arléa (2016 )

Élisabeth Bathori est historienne de la photographie et de la carte postale. Suite au décès de son compagnon, elle a interrompu son activité professionnelle et a sombré dans une dépression pendant de longs mois. Cherchant à reprendre pied, elle accepte un travail à l’Institut photographique des mémoires du siècle. Sa première mission la met en présence d’un album de photographies prises par un jeune officier, Alban de Willecot, alors qu’il combattait dans les tranchées de la Grande Guerre. À l’album sont jointes des lettres et des cartes postales adressées à son meilleur ami, un poète réputé à l’époque, Anatole Massis. Élisabeth est immédiatement consciente que ces documents constituent un témoignage exceptionnel, à la fois sur la guerre de 14-18 mais aussi sur des évènements privés de la vie du poète, et leur analyse va l’amener à enquêter sur la famille et les proches d’Alban de Willecot. Ses recherches la feront voyager à la fois dans l’espace et dans le temps, puisqu’elle ira jusqu’à Lisbonne pour recueillir un carnet crypté très mystérieux et que ses découvertes sur la famille d’Alban la conduiront à démêler des secrets allant jusqu’à la période de la seconde guerre mondiale.

C’est un gros livre de près de 700 pages et mon résumé ne fait qu’effleurer une histoire vraiment très dense et très riche, qui aborde de nombreux sujets : la vie dans les tranchées, l’apport de la photographie au témoignage sur la Grande Guerre, la censure des écrits et des images, les exécutions au sein de l’armée, pour n’en citer que quelques-uns qui concernent le conflit de 14-18. J’ai beaucoup aimé suivre les méthodes de l’historienne dans son analyse des documents : comment elle échafaude des hypothèses en fonction de ce qu’elle découvre dans les lettres, les photos et le carnet et comment elle doit sans cesse revenir sur ce qu’elle croyait acquis, refuser de céder à la facilité et insister lorsqu’elle a conscience que ce qu’elle envisage gêne certaines personnes. La nature des supports étudiés amène aussi une grande variété au récit, même si seules certaines lettres d’Alban sont retranscrites. Mais la description du carnet crypté et surtout celle des photos sont si détaillées qu’on a souvent l’impression d’avoir les documents sous les yeux.

Mon seul bémol dans l'appréciation de ce roman, c’est finalement l’histoire d’amour entre Élisabeth et Samuel, un homme qu’elle rencontre au Portugal, et dont l’attitude reste un mystère. Néanmoins, c’est en réagissant pour se sortir de cette relation qu’Élisabeth trouve des ressources pour surmonter son deuil et reprendre le contrôle de sa vie. Un épisode donc nécessaire mais les atermoiements et les revirements de Samuel m'ont un peu agacée.

Ce que j’ai admiré dans ce roman au-delà de l’intrigue, c’est sa construction, la façon dont l’auteur entremêle les différentes histoires qui le composent pour transformer ce qui semble au départ n’être que la recherche d’une vérité familiale en un véritable travail d’historien qui met à jour des pratiques militaires longtemps occultées et des trahisons sous l’Occupation. J’ai également bien aimé le clin d’œil d’Hélène Gestern vers un de ses précédents livres, Eux sur la photo, lorsqu’elle fait intervenir son héroïne, Hélène Hivert, pour aider Élisabeth dans ses recherches.

Un roman très réussi, que je conseille fortement !

Avec cette lecture, j'atteins mon objectif dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2016.


dimanche 2 avril 2017

Le grand marin

Le grand marin – Catherine Poulain

Éditions de l’Olivier (2016)

Lili a fui Manosque-les-Plateaux, Manosque-Les-Couteaux comme elle dit, pour traverser les États-Unis en bus Greyhound jusqu’au-delà de la « dernière frontière », l’Alaska, où elle rêve d’être engagée sur un bateau de pêche. Après quelques jours de recherche sur le port de Kodiak, elle trouve une place de matelot sur le Rebel, un palangrier qui pêche la morue noire au large. La campagne commence par trois semaines à terre, à démêler et réparer les lignes, changer les hameçons tordus, appâter les palangres, préparer le bateau. Lili fait connaissance avec les autres membres de l’équipage, certains sont des marins aguerris come Ian, le skipper, le grand gars maigre comme elle l’appelle, Jude l’homme-lion, le grand marin, Jesse le mécano ; Simon, un étudiant californien venu se faire de l’argent, est comme elle, un débutant, un « green ». Après une dernière nuit de tournées dans les bars du port, la campagne de pêche commence et Lily découvre alors un autre monde, un monde où on ne s’appartient plus, où on bosse à toute heure, en fonction de la pêche. Un monde pas tendre avec les « green » sur un bateau où il y a seulement six couchettes pour neuf et où ce ne sont pas forcément les premiers arrivés les premiers servis.
Ensuite, lorsque la campagne de pêche à la morue noire sera terminée, c’est à la pêche au flétan que participera Lily, toujours sur le Rebel. Et là, c’est encore un niveau au-dessus, en partie en raison de la taille du poisson lui-même, qui nécessite un vrai corps à corps une fois arrivé sur le bateau, des efforts surhumains que Lily veut accomplir, mue par une volonté venue d’on ne sait où. D’ailleurs, on ne saura rien du parcours de Lily, même si on devine qu’elle a été cabossée par la vie.


C’est un livre coup de poing qu’a écrit Catherine Poulain, qui a elle-même été pêcheur en Alaska pendant dix ans. Et cela, on n’a aucun mal à le croire, tant son récit est réaliste, tant on sent qu’elle a vécu ce qu’elle raconte, la violence de la pêche lorsqu’il faut mettre les palangres à l’eau puis les remonter, le danger de ces opérations où chacun a son rôle et sa place sur le bateau. Et puis ensuite, il faut décrocher les poissons, les vider et les nettoyer, les stocker dans les cales dans la glace, et puis ré-appâter les lignes et les remettre à l’eau, tout ça dans un temps le plus court possible, dans le froid, les vagues, les mouvements du bateau.

C’est un livre passionnant, par son réalisme et par la galerie de personnages qu’il fait découvrir, des marins qui vivent dans des conditions épouvantables, pour des gains qui ne sont jamais assurés. Il suffit que la pêche soit mauvaise ou que le matériel casse pour que le pactole espéré ne soit pas au rendez-vous ! Seule solution alors, traîner son ennui dans les bars du port en attendant la prochaine campagne de pêche.   

J’ai découvert Catherine Poulain dans l’émission de François Bunel, La Grande Librairie et elle est vraiment conforme au personnage de Lily, une petite femme discrète avec une âme d’aventurière.

mercredi 22 mars 2017

Savannah

Savannah – Jean Rolin

P.O.L (2015)

Le 27 août 2014, Jean Rolin atterrit à Savannah, dans l’état de Géorgie, là où il séjourna en 2007 avec sa compagne, Kate Barry, décédée depuis en 2013. À l’époque, ils avaient entrepris ce voyage sur les traces de Flannery O’Connor, romancière américaine à laquelle Kate voulait consacrer un film. Maintenant, en 2014, c’est sur leurs propres traces, celle de Kate et la sienne, que revient l’écrivain, tentant de remettre ses pas dans ceux de 2007, se remémorant leur voyage, en s’aidant des bouts de films et des photos de Kate. 

C’est à la fois un journal de voyage et un tombeau à l’absente que propose Jean Rolin avec ce livre. Son insistance à refaire exactement les mêmes choses qu’en 2007 est très touchante, même si c’est parfois impossible. Ainsi, le motel où ils s’étaient installés est fermé, l’obligeant à prendre une chambre ailleurs. De même, il passe du temps à retrouver le reflet des deux palmiers dans une flaque d’eau, ce qui finit par arriver après un orage providentiel le 2 septembre.

Un texte émouvant mais jamais triste, tant Jean Rolin s’attache à montrer la gaité et la fantaisie de sa compagne, sa facilité à nouer des relations amicales avec les gens qu’elle rencontre, comme le chauffeur de taxi qui va les accompagner plusieurs jours dans leurs déplacements. Et pourtant, on sent bien la peine de l’auteur, prête à surgir, mais qu’il maintient à distance en s’obligeant à reconstituer au plus près les étapes du voyage. Une grande tendresse s’exprime dans ce témoignage poétique et sincère.

Extrait page 102-103
Le jour même de mon retour à Savannah, dans les heures qui suivirent je revis le petit homme au parapluie roulé : il était en train de fumer, assis sur un muret faisant face à la grille cadenassée du motel en friche, et dans une position telle qu’il se serait trouvé dans le champ des images faites par Kate le soir de notre installation dans ce motel. Auparavant, sitôt débarqué du bus en provenance de Macon, je m’étais rendu au musée d’histoire locale, lequel est situé non loin de la gare routière. Je m’y étais rendu pour la raison que lors de notre séjour précédent, Kate en avait filmé les collections de manière apparemment exhaustive, sans opérer de choix parmi les objets exposés – une locomotive, une pirogue, un buste de Toussaint-Louverture, un cabinet dentaire reconstitué, des costumes, le portrait d’un petit garçon noir ayant fui l’esclavage et devenu tambour dans l’armée nordiste… -,un peu, me semble-t-il, comme elle avait filmé dans l’avion les consignes de sécurité, ou dans la cathédrale le DVD retraçant l’histoire de celle-ci.
Ne manquez pas le billet de La Liseuse à propos de ce livre avec un complément très intéressant sur Flannery O'Connor.
J'ai apprécié également les critiques parues dans l'Express et Libération.

Le 11 juin 2015, la radio FIP avait consacré une émission à ce livre, avec une mise en ondes que l'on peut ré-écouter ici.

vendredi 10 mars 2017

Sagan et fils

Sagan et fils – Denis Westhoff

Stock (2012)

Extrait page 11
Les temps sont durs depuis que Sagan n’est plus là pour faire des bêtises. La légende Sagan n’a plus la vie facile. D’une certaine manière, et un peu par la force des choses, aujourd’hui c’est moi qui l’ai récupérée, recueillie. Je ne peux pas dire qu’elle ne soit pas agaçante, avec sa manie de répéter tout le temps les mêmes histoires, mais au fond elle est plutôt gaie et assez confortable. Gaie parce qu’il est vrai, disait ma mère, que « boîtes de nuit, whisky et Ferrari valent mieux que cuisine, tricot et économies », et confortable parce que les gens ont tendance à s’y conformer. Cette légende me fait penser à une colocataire bavarde, un peu encombrante, mais toujours de bonne humeur, à qui vous confiez vos visiteurs les plus barbants, ceux dont vous ne parvenez plus, en fin de soirée, à vous dépêtrer. Mais le principal attrait de cette légende – et ce qui la caractérise très particulièrement par rapport à ma mère – est qu’elle a un tas, je dirais une multitude d’histoires à raconter. Je crois qu’il existe peu de personnalités – de « pipaule » comme j’ai vu un jour écrit dans la presse – dont la légende soit aussi riche, aussi variée, et dont la vitalité et la longévité soient telles. Au faîte de la gloire de ma mère, au cours des mois puis des années qui ont suivi Bonjour tristesse, la légende avait pris une telle ampleur qu’elle avait pratiquement phagocyté son nom et le fait qu’elle fût écrivain. Sagan n’était plus qu’une légende. On pourrait presque dire qu’une légende était Sagan.
Dans l’introduction d’où provient cet extrait, Denis Westhoff, le fils unique de Françoise Sagan, explique comment il a été amené à écrire ce livre sur sa mère. Il souhaitait rétablir une certaine vérité, car il avait été choqué de certains propos qu’il avait pu lire dans les biographies consacrées à Sagan. Il voulait montrer que sa mère ne se limitait pas au personnage que la légende avait créé, qu’elle était un écrivain, une femme, une mère, une amie. Ce sont toutes ces facettes qu’il présente dans ce livre, écrit avec le cœur, tout en ayant conscience qu’il n’a connu de sa mère que la moitié de sa vie à elle et que son récit est donc forcément partial.

Un livre sincère, émouvant, qui présente Sagan sous un jour inhabituel mais ça fait du bien de la voir autrement que comme une fêtarde, qu’elle a bien sûr été à certaines périodes de sa vie, une consommatrice de substances illicites – aucun doute à ce sujet non plus. Un livre qui confirme l’élégance en toutes occasions de cette femme, son humilité par rapport à son œuvre, sa fidélité en amitié. Un livre qui me donne envie de découvrir les œuvres de maturité de Sagan, moi qui me suis jusqu’à présent limitée à ses premiers romans. Il y a bien longtemps que je ne l’ai plus lue…

D'autres avis sur Babelio et la critique de Télérama,

vendredi 24 février 2017

Parmi les dix milliers de choses

Parmi-les-dix-milliers-de-choses-Julia-Pierpont-Rue-de-Siam

Parmi les dix milliers de choses – Julia Pierpont

Éditions Stock (2016) – collection La Cosmopolite
Traduction de Aline Azoulay-Pacvoň


C’est une famille apparemment heureuse de Manhattan : Jack, un artiste plasticien, Deborah, qui a été danseuse, et les deux enfants. Kay a onze ans et se fait malmener par ses camarades de classe. Simon, quinze ans, est comme tous les ados de son âge, pas toujours facile à vivre et mal dans sa peau. Cette illusion du bonheur va être remise en question par un simple paquet contenant des impressions d’e-mails échangés par Jack et la maîtresse qu’il vient de quitter sans explications. Celle-ci a décidé d’envoyer les preuves de leur relation à Deborah. Malheureusement, le portier de l’immeuble remet le colis à Kay qui s’imagine qu’il s’agit d’un cadeau pour son anniversaire et qui commence à lire les courriers.
La réaction des enfants est brutale, ils ne veulent plus parler à leur père. Deborah, elle, n’est pas surprise car elle savait son mari infidèle, sans en connaitre les détails. Elle lui en veut d’avoir rendu possible une telle situation et elle s’en veut également, car elle aussi, elle a été la maitresse de Jack alors qu’il était marié à une autre, qu’il a quittée pour elle. Dans les détails scabreux qu’elle a lus dans les mails du colis, elle a retrouvé leurs pratiques d'autrefois. Et elle se sent coupable vis-à-vis des enfants de ne pas les avoir protégés de ce bouleversement dans leur vie.


C’est une histoire menée avec brio. L’auteur se glisse tour à tour dans la peau des quatre membres de la famille pour nous faire ressentir comment chacun vit la situation. Et ainsi, le lecteur ne peut blâmer personne, chacun a ses raisons d’agir, chacun croit faire pour le mieux, avec ses maladresses et ses faiblesses.

Parmi les dix milliers de choses est le premier roman d’une jeune femme de vingt-huit ans, publié alors qu’elle était encore étudiante à l’université de New York et suivait en particulier la classe d’écriture de Zadie Smith. Certes, elle a reçu aussi les conseils de Jonathan Safran Sfoer. Mais j’ai trouvé qu’elle faisait déjà preuve d’une grande maturité dans sa façon de traiter cette histoire, en faisant des allers et retours dans le temps, afin de ne pas laisser son lecteur dans l’incertitude.
Évidemment, je ne suis pas toujours impartiale vis à vis des histoires de familles éclatées, c’est un sujet qui me touche, trop parfois, mais ici, j’ai pu le lire sans difficultés et j’ai été séduite par ce roman et par la maîtrise de cette jeune auteure.

Deux extraits :

Page 62 :
Tout de même :
Ce n’est pas comme si j’avais tué quelqu’un.
Voilà, c’était sorti. Parce que, au bout du compte, il n’avait pas le sentiment d’avoir commis un crime si affreux. Il s’était appliqué à ne jamais rien promettre à la fille. Il l’avait même encouragée à sortir avec d’autres. Deb aurait sans doute besoin de temps et de patience pour lui pardonner, mais là, dans son atelier, au milieu de ses outils, Jack sentit qu’il était sur le point de se pardonner lui-même.
D’accord, c’était difficile pour les enfants, mais c’était la raison pour laquelle il voulait leur expliquer, leur expliquer qu’ils n’avaient absolument rien à voir avec ça. Peut-être était-ce le plus dur à accepter : que la vie de leurs parents ne se résumait pas à eux.
Page 150 :
Nous pensons vivre notre vie dans un entre-deux, après ceci et avant cela, mais c’est l’entre-deux qui a duré.

A lire ailleurs : 

Des billets chez Blablablamia, Melly lit et Cathulu et un article dans le New York Times.
Le début du roman est à lire ici.

jeudi 23 février 2017

Le grand combat

Le-grand-combat-Ta-Nehisi-Coates-Rue-de-Siam

Le Grand combat - Ta-Nehisi Coates

Autrement (2017)
Traduit de l’anglais par Karine Lalechère

Fin des années 1980 à Baltimore, West Baltimore plus précisément, un quartier où règne la violence et le crack. Ta-Nehisi est encore enfant, vit avec ses parents et les nombreux enfants que son père a eu avec trois autres femmes. Paul Coates, retiré des Black Panthers, travaille à l’université de Howard, La Mecque des étudiants afro-américains, et a également une activité d’impression des grands textes des auteurs et militants de la cause noire américaine. Paul souhaite que tous ses enfants puissent échapper à la violence et aux trafics qui les menacent, l’univers de la drogue et des gangs où il est si facile de plonger. Il les incite à lire les écrits qu’il publie, les pousse à se cultiver et à entrer à l’université. Ta-Nehisi est timide, peu sûr de lui, très admiratif de son grand frère Bill qui sait faire le coup de poing quand il le faut. C’est son enfance et son adolescence qu’il nous raconte dans ce livre, paru aux États-Unis en 2008 et qui vient d’être traduit en français.

Ce que j’ai aimé dans ce livre :

C’est le récit du quotidien de ces jeunes des quartiers-ghettos et la peur ou la rage qui les habitent, le combat que doivent mener sans cesse les parents pour mener leurs enfants vers la réussite, l’énergie qu’ils doivent déployer pour les sortir de la médiocrité, pour leur donner envie d’utiliser leurs capacités au mieux et pour qu’ils aient confiance en eux.

Ce que j’ai moins aimé :

Ce qui a rendu cette lecture assez difficile, ce sont les références qui apparaissent sans cesse, références à des militants de la cause noire, à des évènements importants, à des groupes de hip-hop et de rap dont est Ta-Nehisi est très friand, références à des sportifs qui sont des modèles pour lui. Bien sûr, il y a un glossaire en fin d’ouvrage qui explique que sont ces références mais cela nuit à la fluidité de la lecture. Personnellement, à part Malcolm X et Martin Luther King, je connais peu des personnes citées et leur importance dans le combat des droits civiques a été difficile à percevoir.

Une bonne idée de l’auteur :

Il fournit une playlist pour chaque chapitre, ce qui donne l’occasion au lecteur d’appréhender l’ambiance musicale où a baigné Ta-Nehisi Coates. Principalement du Rap.
Exemple, pour le 1er chapitre :
  • Children's Story, Slick Rick (1988)
  • Sucker MCs, Run DMC (1983)
  • Latoya, Just Ice (1986)
  • I Can't Live Without My Radio, LL Cool J (1985)
  • Smooth Operator, Big Daddy Kane (1989)
  • Looking For the Perfect Beat, Afrika Bambaata (1983)

En résumé :

Un témoignage coup de poing sur la jeunesse d’un garçon voué à être un Bad Boy et qui est devenu journaliste et écrivain.
En 2015, il a reçu le National Book Award pour son livre « Une colère noire ».

Merci à Babelio et aux éditions Autrement qui m’ont envoyé ce livre dans le cadre de l’opération Masse Critique.


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